À grands coups voire coûts de TWh et de tonnes de carbone, médias et politiques portent des opinions parfois comiquement péremptoires quant à l’énergie requise par le numérique et assènent les contraintes comportementales qu’ils y associent. Streaming et pièces jointes aux mails sont désignés coupables.

À la source de cette alarmisme, plusieurs documents solides et étayés parmi lesquels une étude du Shift Project, celles de l’Agence Internationale de l’Énergie AIE ou IEA en anglais, une étude de Greenpeace ou les travaux de l’ADEME. Ces lectures instructives sont à recommander.

La méthodologie commune à ces études estime la puissance globale requise à partir de celle des équipements individuels. Les travaux sont très complets et incluent également la fabrication des équipements, les résultats interpellent par leur ampleur.

Confirme-t-on ces consommations annoncées côté production électrique ? Penchons-nous sur deux aspects : une vision longue depuis les premiers pas d’Internet et un zoom sur le confinement. Surprise : le numérique est absent des relevés.

Vue à long terme

La lecture sur plusieurs décennies est sensible à des paramètres externes : PIB, population. D’autres facteurs comme l’émergence de véhicules électriques ont été envisagés mais leur incidence n’est pas détectable.

La « voracité » annoncée du numérique ne se retrouve pas dans les relevés de consommation

Les données utilisées pour établir les courbes proviennent de l’INSEE, de RTE et de la Banque Mondiale.

Première information plutôt contre-intuitive, la consommation d’énergie électrique par habitant se contracte depuis une vingtaine d’années. Cette tendance est amplifiée quand on intègre l’activité économique et la population dans une notion proche de l’intensité énergétique (réduite ici à la seule électricité).

Parenthèse optimiste : toutes les sources d’énergie sont à l’unisson. On peut interpréter ce résultat comme l’heureux résultat de mesures récentes : isolation des habitats, gains de consommations automobiles ou autres efficacités des infrastructures collectives. Les strictes normes de la famille « Euro » ont fait chuter les consommations et, résultat étonnant, font que les camions soumis à des normes très strictes émettent moins d’oxyde d’azote qu’une voiture particulière diesel.

Quoi qu’il en soit bien peu d’indice de l’introduction d’Internet, des réseaux sociaux, des streaming audio et vidéo, du télétravail ou des jeux en ligne.

L’émergence d’Internet n’a entrainé aucune sur-consommation électrique sur le long terme. C’est au contraire à une baisse de consommation que l’on assiste.

Zoom sur une journée de confinement

Les recommandations (« Tous les contenus de Netflix n’ont probablement pas besoin d’être regardés en 4K ») sont alarmistes. Le confinement va nous permettre d’en mesurer la réalité.

On postulera que le confinement favorise la consommation de vidéos en streaming, ce qui est en cohérence avec les abonnements Netflix du premier trimestre. Les relevés de consommation électrique reflètent-ils ces visionnages ?

Consommation électrique durant le confinement : le pic est créé par la préparation des repas, il n’y pas d’excès de consommation due au « streaming »

RTE Réseau de Transport d’Électricité ouvre ses données sur les pages eco2mix.

C’est arbitrairement la journée du mardi 7 avril 2020 en plein confinement qui nous sert de référence. On rapprochera ses données avec les relevés hors confinement un an auparavant : le mardi 9 avril 2019 journée « classique » et le dimanche 7 avril 2020.

Sans surprise, le confinement se caractérise par une baisse de la consommation de près de 25%. Le pic de consommation par contre n’est plus à 9 h du matin mais vers 12 h 30, ce qui correspond à la préparation du repas un dimanche « classique ».

Mais nulle boursouflure que l’on pourrait attribuer à une surconsommation de vidéo en « streaming ».

La boulimie électrique évoquée face à la montée en puissance du numérique en général et au streaming en particulier trouve contradiction dans l’historique de production électrique.

Pourquoi si peu d’impact ?

Au rebours de notre intuition, les besoins en énergie ne suivent pas l’essor du numérique. Techniquement on peut avancer des explications.

La plus immédiate est que l’électronique d’Internet suit la pente naturelle de la loi de Moore. Le progrès technologique a joué, la consommation a baissé.

La deuxième est que les structures sont peu sensibles à la charge. La sur-demande liée au (ou à la ?) Covid a laissé de marbre les réseaux que ce soit sur le plan des capacités à écouler le trafic ou sur celui de la consommation. Sollicités ou pas les équipements ont la même consommation.

La consommation des centres de données est peu sensible à a charge.

Un troisième point est dans les astuces technologiques. Par exemple dans les réseaux longue distance, le retour aux circuits virtuels pré-établis chers aux télécoms des années 70 permet d’éviter aux routeurs des sollicitations répétées toutes les quelques dizaines de millisecondes pendant les deux heures que dure un film. Les calculs de route sont abandonnés au profit de la lecture d’une table de correspondance entre les numéros de route et les ports de sortie.

La 5G nous promet du streaming à tous les étages, les polémiques animent l’actualité. Consomme-t-elle plus que la 4G ? Il y a plus d’antenne, mais à l’image du Stop&Start des voitures elles ne consomment que quand c’est nécessaire. Les stations de base 5G ZTE de l’opérateur Chinois Unicom se mettent automatiquement en sommeil de 21h à 9h. Est-ce pour limiter une consommation excessive ? Est-ce parce que les réseaux sont largement sur-dimensionnés en ce début de déploiement comme l’explique Li Fuchang, responsable de la recherche sur les réseaux sans fil de Unicom ? Quoiqu’il en soit c’est à grand renfort d’Intelligence Artificielle qu’Ericsson compte gérer la veille des équipements.

Les avancées technologiques, l’ingénierie des réseaux contribuent à la consommation contenue du numérique. Ce ne sont probablement pas les seuls facteurs mais ils permettent d’être optimiste sur l’avenir.

Alors, les pièces jointes au ban ?

Au rebours des injonctions de la presse voire des politiques, les pièces jointes de vos mails ne mettent pas (encore ?) en péril la production électrique ou le bilan carbone. Pas plus que visionner Netflix.

Il semble en tout cas peu judicieux d’espérer améliorer le bilan carbone en privant un message de ses pièces jointes. L’impact d’une information tronquée peut aller au-delà.

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Article publié dans la Newsletter Forum ATENA n°128 (sept.oct. 2020)