Le père Noël apporte t-il ses cadeaux ?  Le sujet critique des données personnelles de santé est toujours d’actualité en cette fin 2020 :

Résumé des épisodes précédents

Alors que les GAFAMs ne cessent d’étendre leur emprise sur nos vies personnelles en monopolisant les canaux numériques qui nous relient et nous connectent au monde « physique », la crise sanitaire en a révélé les excès. Ils sont apparus de façon visible pour tous les citoyens, même ceux qui avaient fini par admettre que tout le numérique était devenu l’apanage des Sociétés de la Silicon Valley.

Les alertes n’avaient pas manqué dans les dernières années pour mettre en garde sur les dangers du « tout gratuit », non–sens économique, sauf à prendre enfin conscience que, selon la formule pertinente, « si c’est gratuit, c’est vous le produit ».
La «  goutte d’eau qui a fait déborder le vase » a été apportée par les tentatives « d’entrisme » dans notre système de santé avec l’offre, heureusement repoussée, de la sulfureuse Société Palantir offrant ses « services » à l’AP-HP.

Mais un autre ver était entré dans le fruit, assez discrètement, avec le HDH (Heath Data Hub) dont l’hébergement à été confié, sans appel d’offres, à la Société américaine Microsoft pour son service d’hébergement « Cloud » Azure.

Ce projet s’inscrit dans le prolongement du rapport sur l’ Intelligence Artificielle du célèbre et brillant mathématicien Cédric Villani qui proposait le domaine des données de santé comme objet d’exploitation avec les outils nouveaux d’IA pouvant faire progresser la médecine.

Nos bases de données sanitaires, parmi les meilleures du monde, pouvaient ainsi faire émerger de nouvelles connaissances fort utiles à l’humanité. Il était fortement recommandé que cela soit réalisé par des équipes françaises ou européennes afin d’éviter toute dérive bassement « économique », la cohérence avec nos systèmes de santé « européens » fondés sur la mutualisation et dont l’efficacité (malgré des améliorations toujours possibles) comparée à celui des USA est flagrante : coût de l’ordre de 16 à 17% (au moins) du PIB contre environ 12% pour la France et les pays qui nous entourent (hors UK plutôt 10%) et universalité chez nous.

Cette recommandation n’a pas été suivie, des raisons obscures d’urgence (quand il s’agit de stratégie les décisions sous la pression de l’urgence sont souvent mauvaises) et en raison de nombreux outils techniques que seul Microsoft pouvait fournir. La liste et la description de ces fameux outils, maintes fois réclamée, n’a jamais, à ma connaissance, été publiée. Pour un argument technique qui aurait pu être l’occasion d’une mise à niveau de nos compétences nationales et européennes c’est pour les moins fâcheux.

Comme scientifique je m’intéresse aux effets (cette décision « curieuse ») et forme de multiples hypothèses sur les causes premières. Le dossier reste, pour moi, ouvert …

Néanmoins les choses bougent :

Forum ATENA a, avec d’autres organisations, a réagi sur le choix technique pour le HDH et a, entre autres, lancé un communiqué de presse dès le mois de mai en réclamant la souveraineté sur nos données de santé : https://forumatena.org/pour-une-souverainete-europeenne-de-la-sante

Nous avons aussi choisi ce thème des données de santé pour la contribution apportée au document collectif rédigé par plusieurs cercles de réflexion autour du numérique communiqué à France Stratégie ( cf pages 8 à 11 de cet article) : https://forumatena.org/wp-content/uploads/2020/06/Contribution_Think_Tanks_du_numerique_Un_monde_soutenable_2020.pdf

A titre personnel je me suis risqué à « raconter » la drôle d’histoire du HDH qui développe les informations résumées au début de cet article : https://forumatena.org/la-drole-histoire-du-hdh-health-data-hub/

De nombreuses saisines du Conseil d’Etat ont mis les projecteurs sur ce choix présenté discrètement comme un choix d’évidence technique alors qu’il a, potentiellement, des conséquences stratégiques majeures sur toute l’organisation de notre système de santé.

En juillet un arrêt  de la Cour Européenne de Justice a dénoncé un texte, le « Privacy Shied », régissant les échanges de données entre les Etats de la Communauté Européenne et les USA.

La conformité des applications au RGPD qui désormais protège nos données personnelles, notamment parmi les plus précieuses et intimes, nos données de santé, était « assuré » par cet accord. De nombreuses applications exploitées aux USA sont maintenant non conformes et les exploitants peuvent être soumis à les amendes très importantes (jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial).

La solution choisie pour le hdh est remise en cause à ce titre !

Des engagements récents que je salue, avec de nombreux membres de Forum ATENA et de, probablement de beaucoup de citoyens qui sont préoccupés par ce sujet qui les touchent de près, même s’ils ne sont pas connaisseurs de la « technique numérique ». Ils nourrissent nos espoirs que ce sujet majeur soit traité en responsabilité, face aux citoyens. Ainsi

  1. Le gouvernement (Olivier Veran et Cédric O ) a annoncé le lancement d’un appel d’offre pour trouver une nouvelle solution,
  2. Le 4 décembre à l’institut Imagine dans une séance «  Le numérique au service de notre santé » notre Président a fixé un cap volontariste d’une souveraineté des solutions numériques en nous libérant résolument des applications US, sans oublier la dimension éthique. « La  France a tout pour être dans les prochaines années leader en santé numérique » ( 5mn30 de l’enregistrement).

https://youtu.be/z0WBTpQNszM

Même l’Intelligence Collective, qui me tient tant à cœur, est mentionnée, tout cela est très encourageant !

Confiance et néanmoins prudence :

Pourtant, entre les déclarations d’intentions et les actes il peut y avoir des différences notables, nous y sommes, malheureusement habitués.
Ce n’est pas nouveau : dans son livre « L’hexagonal tel qu’on le parle » de 1970 Robert Beauvais évoquait « la dichotomie entre le logos et la praxis ».

J’ai donc quelques sujets d’inquiétude que je vais continuer à surveiller de près :

  1. Un délai de 2 ans a été annoncé pour le rapatriement du HDH, cela me semble très excessif, d’autant plus que cette date limite dépasserait la date de fin du mandat en cours
  2. Pas de nouvelles de ’appel d’offres, clos fin juin, pour le projet ENS (Espace Numérique de Santé) qui, si j’ai bien compris, complète très largement le périmètre du HDH en visant l’ensemble des activités « de santé « .
  3. Le projet GAIA-X qui avait comme ambition la mise en place d’un ensemble de solutions souveraines européennes s’est ouvert de façon incompréhensible aux éditeurs US, chinois et indiens je crois, ouvrant le poulailler aux renards. Aux dernières nouvelles même la sulfureuse Société Palentir serait acceptée comme membre de GAIA-X…
  4. Dans son entretien sur France Inter pour présenter les nouveaux règlements européens sur le numérique, le Commissaire Européen Thierry Breton a pris l’exemple des données de production pour caractériser notre recherche d’indépendance. Il n’a pas parlé des données de santé !

J’ai sûrement des progrès à faire pour comprendre les subtilités des choix stratégiques …