Sur les traces du fiasco de l’Internet français

En cette rentrée littéraire, l’écrivain Eric Reinhardt publie un nouveau roman, “Comédies françaises”, chez Gallimard. En apprenant qu’Internet a été une invention française privée de suivi, Eric Reinhardt s’est lancé dans l’écriture de son réjouissant nouveau roman.

Le livre est articulé autour d’une histoire vraie : celle de l’abandon par la France du projet de datagramme, qui sera ensuite récupéré par les Américains pour imaginer les premiers pas d’Internet. L’auteur a voulu faire se correspondre la question de l’instant décisif dans une vie, avec le destin des civilisations et des rapports de forces internationaux. Le romancier estime qu’il y a aussi dans la vie des nations et des civilisations, des moments de bascule, où les choses se réorientent.

Avec « Comédies françaises », Eric Reinhardt signe son roman le plus politique et le plus acerbe sur le pays et le lobbying. Les abus de pouvoir, les positions de domination, la question de l’intérêt général versus les intérêts particuliers, c’est un peu ce qui court dans le travail de l’écrivain de livre en livre. Derrière cette décision désastreuse d’écarter l’invention du datagramme, au profit du Minitel, il identifie la main d’un homme très influent, un grand patron français, Ambroise Roux. On suit Dimitri Marguerite, 27 ans journaliste à l’AFP un garçon brillant et insaisissable libre dans sa manière de mener son existence privée et professionnelle qui se passionne pour l’histoire de l’invention d’Internet ; plus précisément à la manière dont la France est passée à côté de la possibilité de l’inventer avec l’intention de venger, par un livre, le visionnaire empêché que fut Louis Pouzin.

Dans ce livre qualifié de “grand roman français” par certains critiques littéraires, Reinhardt révèle une histoire que connaissaient bien avant lui quelques rares initiés. Il met en scène Louis Pouzin homme remarquable, simple et disponible.

Quelles leçons tirer aujourd’hui de cette erreur ?

Peut-on mettre le doigt sur les moments où un destin bifurque, où les événements dévient le cours des choses ? Cette question est récurrente dans les livres d’Eric Reinhardt – dans le merveilleux Cendrillon (Stock, 2007), plusieurs avatars figuraient par exemple les existences que l’écrivain aurait pu mener si…— On retrouve cette interrogation dans Comédies françaises, dont le protagoniste est un jeune homme traquant les « instants décisifs », parmi lesquels celui où la France est passée à côté de la possibilité de devancer les Etats-Unis dans la création d’Internet.

« L’instant décisif » qui a mené à l’écriture de Comédies françaises, s’est produit le 25 mars 2013. Dans Libération, Eric Reinhardt lit un article sur la remise d’une récompense par la reine d’Angleterre à un Français nommé Louis Pouzin. Louis Pouzin avait conçu la transmission de données électroniques par paquets, le datagramme. Mais le programme de recherche auquel il participait a été interrompu en 1975.

L’écrivain est frappé de découvrir ce pan français de l’histoire, présentée comme américaine,

d’Internet. Surtout, il est traversé par « une intuition de romancier » : « Je me suis dit qu’une personne, à un moment, forcément, avait dit non à l’invention de Louis Pouzin, et me suis juré de l’identifier », raconte-t-il dans ses interviews (Le Monde, l’Obs, l’Usine Nouvelle, France inter, Europe 1 etc. …).

Quelques recherches, d’un « site de geeks » à un autre, l’amènent à découvrir un autre personnage, Maurice Allègre, délégué général à l’informatique dans les années 1970 : « Il avait fait tout son possible pour imposer aux pouvoirs publics de suivre et développer l’idée de Louis Pouzin. » En vain.

Eric Reinhardt se lance, début 2015, dans « l’énorme projet » concernant « cette calamiteuse erreur de la France » dont il a parlé sans le détailler à son éditeur, Ludovic Escande.

Il commence par rencontrer Louis Pouzin et Maurice Allègre. Tous deux évoquent Ambroise Roux, industriel et lobbyiste, qui convainquit le président Valéry Giscard d’Estaing, entre autres, de renoncer au projet européen « Unidata » dont relevaient les recherches de Louis Pouzin.

L’ingénieur francais, Louis Pouzin lors de la 6e conférence mondiale de l’Internet, à Wuzhen (Chine), le 20 octobre 2019. HECTOR RETAMAL / AFP

L’industriel et lobbyiste Ambroise Roux, à l’hôtel Matignon, en 1974. Il est l’homme qui a poussé l’Internet français dans une impasse.
RUE DES ARCHIVES/AGIP

Le héros du roman de la rentrée harcèle par mails, par lettres et par l’envoi au château d’Authon d’une boîte de marrons glacés Valéry Giscard d’Estaing. Pour un livre qu’il projette d’écrire, Dimitri Marguerite veut en effet rencontrer l’ancien président et le soumettre à la question : comment a-t-il pu, lui qui se targuait de moderniser la France, la priver, au milieu des années 1970, de la révolution numérique et laisser les Américains la développer afin d’imposer leur suprématie planétaire ? Par quel aveuglement a-t-il ignoré Internet pour favoriser le Minitel ?

La réponse, Dimitri la connaît : Giscard d’Estaing a cédé alors aux injonctions du puissant industriel Ambroise Roux et fermé le laboratoire de recherches de Louis Pouzin, qui avait inventé le datagramme, système de transmission de données à l’origine d’internet. Et c’est ainsi que la vieille France masculine, des conservatismes de droite et de gauche, des privilèges, des jeux d’influence, du corporatisme, des plats en sauce et des chasses en Sologne eut raison de la France de demain, de l’innovation et du Web.

Pour raconter cette époque lointaine, Eric Reinhardt l’auteur de « Cendrillon » et du « Système Victoria » charge Dimitri Marguerite de recueillir les souvenirs du fringant Louis Pouzin et de forcer la porte, à Trégastel, de la fille d’Ambroise Roux. Il dresse un étonnant portrait de l’ex-patron de la CGE, ce capitaliste d’influence qui vivait caché, prenait des vacances de trois mois, pratiquait le monarchisme et le spiritisme, faisait tourner les tables et le pouvoir. Dimitri, qui fut lobbyiste avant d’entrer à l’AFP, tient Ambroise Roux pour un grand artiste de la manipulation et de l’intimidation. Il trouve des vertus à ses vices et de l’éclat à son règne équivoque. Dimitri ne s’intéresse pas seulement à la naissance d’internet et à la France giscardienne. Comédien inachevé, il aime passionnément le théâtre, la danse, Max Ernst, « le Jardin des plantes » de Claude Simon, les amours sans lendemain, les femmes non épilées et la solitude. Eric Reinhardt, ce Balzac maigre et geek, nous offre un roman ample, étourdissant comme une chorégraphie, sur un jeune homme qui lui ressemble, à la fois rêveur et railleur, anachronique et postmoderne, sauvage et sophistiqué.

Comédies françaises au fil de ses presque 500 pages à la vivacité remarquable prend le temps de présenter ses personnages, de les laisser se déployer, de faire preuve de pédagogie sans lourdeur et avance à toute allure. On suit Dimitri Marguerite, un garçon brillant et insaisissable libre dans ses choix amoureux et sexuels comme dans sa manière de mener son existence professionnelle. Il court après une femme croisée à plusieurs reprises dans des lieux éloignés et se passionne pour l’histoire de l’invention d’Internet. Il s’intéresse à la manière dont la France est passée à côté de la possibilité de l’inventer avec l’intention de venger, par un livre, le visionnaire empêché que fut Louis Pouzin.
Le récit pourrait être austère, mais de son matériau documentaire autant que de son intrigue, Eric Reinhardt fait un usage virevoltant. Sa langue souple et rieuse, son art consommé de rapporter les discours s’adaptent à tous les changements de ton et de tempo que l’auteur impulse à son roman pour en décupler l’intérêt et la drôlerie. Le romancier sait aussi faire le compte des forces occultes et invisibles, grandes et petites, qui agissent sur les individus et les sociétés.

Quelles leçons tirer de cette erreur : le fiasco de l’Internet français ?

Risquons-nous aujourd’hui de passer à côté d’autres inventions du même niveau ? Oui probablement. Mais le risque de ne pas appréhender l’essentiel, du fait de la non compréhension du paradigme contemporain de la troisième révolution industrielle de 1980 est plus global et plus grave encore. Industrialiser, aujourd’hui, c’est informatiser, et cette action comporte deux dimensions : utiliser et produire l’informatique.

La révolution numérique a eu lieu

Le cycle industriel de la deuxième révolution industrielle de l’électricité de 1880 est passé.

Le nouveau cycle de la troisième révolution industrielle s’est ouvert en 1980. Fondée sur l’informatique puis sur internet, l’industrie est mue par les processus normés et informatisés. Ce modèle économique contemporain impose le passage de l’ère de la main d’œuvre à l’ère du « cerveau d’œuvre », réseau maillé collaboratif, alliage du cerveau humain et de l’ordinateur. Les individus disposent d’une puissance de création, de communication, de coordination. Ils forment la multitude : une communauté créative reliée, connectée et mobile.

Nous sommes à l’ère de la performance informatique anthropologique.

La révolution numérique a eu lieu. Ses principes et son socle technologique sont en place.

Il faut apprendre à s’y mouvoir. Pourquoi quarante ans après 1980 est-il encore si difficile pour les Etats, les entreprises et autres institutions de comprendre et d’intérioriser cette nouvelle donne ? Ne pas profiter des opportunités de cette transformation est un gâchis, ne pas anticiper ses menaces est un risque.

Une économie hyper capitalistique, hyper entrepreneuriale, une mue du capitalisme

Le modèle néo classique est incapable d’expliquer l’économie contemporaine. Nous sommes entrés dans une économie où les rendements d’échelle sont croissants.

On le constate pour les logiciels et la microélectronique. On le verra à proportion de l’informatisation dans tous les secteurs. À terme, toute l’économie sera informatique. L’essentiel du coût d’un produit est dépensé lors de la phase initiale d’investissement (ingénierie, programmation, organisation). Le coût marginal est nul ou négligeable.

L’économie est hyper capitalistique, hyper entrepreneuriale.

Nous assistons à une véritable mue du capitalisme, qui appelle bien plus qu’une adaptation technologique et exige de chaque entreprise, de chaque institution une remise en cause profonde de son mode de fonctionnement pour redessiner les organisations, les écosystèmes et les relations sociales.

L’intelligence ochlonomique

Pour convaincre les décideurs privés et publics et pour marquer la profondeur des bouleversements, j’ai inventé le néologisme « ochlonomie » (du grec ochlos : multitude et nomos organisation). Les termes « numérique » et « digital » sont en fait trop limitatifs.

Le grand saut dans le monde de l’informatisation généralisée est le Sésame qui permet de repenser nos organisations pour qu’elles deviennent ouvertes, collaboratives et libératrices de création de valeur.

Appréhender la donnée, intrant de la troisième révolution industrielle

L’intrant de la troisième révolution industrielle est la donnée, comme la vapeur et l’électricité furent les intrants de la première révolution industrielle de 1780 puis de la deuxième révolution de 1880. De ce fait un cabinet d’avocat ou d’expertise comptable est une industrie.

Le mot « donnée » fait penser à un cadeau de la nature telle une matière première.

Les expressions « big data », « data lake » ou « entrepôt de données » suggèrent qu’elles sont déversées dans un lieu de stockage pour une utilisation à sa guise.

Mais les données ont été produites après avoir été choisies. Leur qualité est déterminée par cette production et ce choix. Si on stocke des données « pourries » dans ses data lakes et autres datawarehouses, l’intelligence artificielle la plus puissante ne pourra fournir que de la « pourriture ». Et cela arrive souvent dans les entreprises.

Il faut dans l’entreprise favoriser le passage de la main d’œuvre au « cerveau d’œuvre » et mettre en valeur les potentialités ouvertes par la libération des forces de l’intelligence, de l’autonomie et du travail collaboratif.

Il faut faire émerger les nouvelles valeurs du manager ochlonomique, leader plus que patron, coach plutôt que chef. Tout cela fait éclater les limites définies par un code du travail français complexe et obsolète. Pour bénéficier d’opportunités fabuleuses, il faut savoir se doter des institutions adéquates.

Il faut repenser l’entreprise comme partie prenante d’un écosystème complexe et mouvant. Cela conduit à de nouveaux modèles d’affaires.

La mise en réseau des entreprises, des ressources et des clients démultiplie les solutions de création et de captation de la valeur. Or les grandes plateformes jouent un rôle pivot d’intégration des différents acteurs de l’écosystème productif. Et la façon dont l’entreprise se positionne par rapport à eux est un facteur décisif du modèle d’affaire.

Repenser les institutions. Réussir la plateformisation de l’Etat

Il faut aussi repenser l’Etat en tant que plateforme d’un écosystème complexe.

Les institutions françaises, inspirées par le Conseil National de la Résistance, ont été rédigées pour servir le précédent modèle économique : l’économie fordiste de la deuxième moitié de la deuxième révolution industrielle ; c’est-à-dire une économie de masse de travailleurs de la grande entreprise pyramidale, normalisée, hiérarchisée, optimisée, cadencée par l’organisation scientifique du travail, fabriquant des produits standardisés, faisant l’objet d’une consommation de masse sur des marchés grand public. Il faut bâtir les Institutions permettant l’épanouissement et l’équilibre social du paradigme de l’économie numérique du règne de la donnée à l’ère de la multitude, de l’homme augmenté, de l’entreprise étendue, de l’innovation continue et du développement des territoires.

Macroéconomie et géopolitique

On ne doit pas éluder la dimension perturbatrice d’une économie informatisée créant un monde ou la distance se contracte et le temps s’accélère.

Le rôle du politique dans cette phase de transition ochlonomique est de mettre en congruence les sphères de l’économie, de la technologie, de la science et de la culture.

Penser la transition c’est aussi être conscient des nouveaux rapports de force et de pouvoir qui se jouent entre les territoires et de la façon dont les cartes géopolitiques sont redistribuées.

Le cyberespace est aussi un espace de guerre économique et de cyberattaques. La vassalité numérique est une condition que l’on ne peut accepter. Dépourvue des atouts contemporains de la puissance, l’Europe subira la transition numérique en perdant la main sur toute une série d’options socio-politiques et culturelles.

La transition ochlonomique n’est pas une histoire préécrite de lendemains technologiques harmonieux. Cette économie est suffisamment mouvante et immature pour que la France y trouve encore sa place et y développe ses atouts en cultivant sa persévérance entrepreneuriale.

Les techniques fondamentales du système productif étaient naguère la mécanique, la chimie et l’énergie. Le système technique contemporain, qui s’est déployé à partir des années 1970, s’appuie sur la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l’Internet.

La mécanique, la chimie et l’énergie n’ont pas disparu ainsi que la nature physique dans et sur laquelle elles agissent, mais leurs progrès actuels, ainsi que ceux de la biologie et de l’écologie, résultent de leur informatisation : les automobiles, avions, machines à laver, cuisinières, etc., se perfectionnent en s’informatisant, leur conception s’appuie sur des simulations dans l’espace « virtuel » de l’informatique.

Industrialiser, aujourd’hui, c’est informatiser, et cette action comporte deux dimensions : utiliser et produire l’informatique.

Utiliser l’informatique

Le système d’information s’entrelace à la production, à la gestion et à la stratégie : il éclaire la mission de l’entreprise. Sa définition suppose donc une démarche dont la profondeur contrarie ceux qui, adhérant à une conception presse-bouton de la technique, croient qu’il suffit de se procurer des « outils ».

L’art de l’informatisation et ses pièges à éviter étant difficile et méconnu, les systèmes d’information sont généralement en mauvais état.

Ni le système de santé, ni le système judiciaire, ni le système éducatif ne sont aujourd’hui raisonnablement informatisés. Les entreprises dont le système d’information est de bonne qualité sont de rares et admirables exceptions.

La plupart de nos entreprises sont immatures et donc obsolètes en regard du système des techniques fondamentales contemporaines.

En contrepartie des milliards que l’État va distribuer aux entreprises pour compenser les effets de la crise sanitaire, il faudrait exiger d’elles qu’elles recréent, en montrant leur compréhension de la troisième révolution industrielle de 1980, les conditions d’une croissance économique plus robuste, plus innovante.

La place d’une nation dans le concert de la géopolitique dépendra de sa maîtrise des techniques fondamentales précitées, donc de sa capacité non seulement à utiliser l’informatique mais à la produire.

Produire l’informatique

Les techniques fondamentales de notre temps sont, rappelons-le, la microélectronique, le logiciel et l’Internet. Les États-Unis se sont placés dès leur début sur le front de ces disciplines. Nombre d’innovations décisives ont été accomplies chez eux: invention du téléphone, du transistor, des circuits intégrés et du microprocesseur, conception des langages et systèmes d’exploitation, science des algorithmes, déploiement de l’Internet.

Certes la contribution de certains européens a été importante mais c’est aux États-Unis qu’elle a pu porter ses fruits. Et les USA exercent une hégémonie dans le cyberespace.

L’État américain soutient l’innovation et utilise l’extraterritorialité de la loi américaine pour nuire aux concurrents étrangers. Les grands centres de données se trouvent aux États-Unis, sous le contrôle des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) de sorte que les entreprises qui en sont clientes sont, parfois sans le savoir, soumises au Patriot Act et au Cloud Act américains.

Le règlement ITAR permet aux États-Unis d’imposer des restrictions à l’exportation européenne des produits qui comportant des composants d’origine américaine (confère les missiles qui équipent le Rafale).

En matière d’informatique, l’Europe a atteint un niveau de dépendance qui n’est ni raisonnable, ni acceptable.

Les États-Unis restent leaders dans les systèmes d’exploitation (Google, suivi par Microsoft) et le Cloud (les mêmes, plus Amazon), mais le leader dans les microprocesseurs est Taïwan avec TSMC, qui possède la seule usine capable de produire selon la géométrie à 7 nm, suivi de près par le Coréen Samsung. Le microprocesseur du dernier iPhone a été conçu par ARM, entreprise britannique, et fabriqué par TSMC.

Tandis que la Chine avance à marche forcée pour rattraper son retard et que quatre « cyberdragons » de plus petite taille (Corée du Sud, Singapour, Israël et Taïwan) se trouvent au premier rang dans certains domaines, l’Europe et la France semblent paralysées.

Pourtant plusieurs entreprises européennes ont un potentiel élevé (ARM déjà citée, le suédois Ericsson, le finlandais Nokia, le franco-italien STMicro, le français Dassault Systems, l’allemand SAP) mais les dirigeants politiques, les médias et les citoyens, ne semblent pas en être conscients.

Le Japonais Softbank ayant mis en vente sa participation dans ARM, l’Europe risque de perdre un de ses fleurons en informatique et cela ne semble pas l’émouvoir.

Laurent Bloch a énuméré les critères de la cyberpuissance en s’inspirant du professeur Yang Yukai, conseiller du gouvernement chinois. Outre l’éducation et la recherche, l’effort doit porter sur : – l’infrastructure du réseau à haut débit ; – les systèmes d’exploitation et les processeurs ; – les logiciels et le commerce électronique ; – la cybersécurité ; – la capacité d’exprimer son point de vue dans la géopolitique de l’informatique ; – la présence active dans les postes de commandement du cyberespace.

Quelle stratégie ?

La liste ci-dessus définit le programme d’une stratégie qui sera jugée comme raisonnable par ceux qui sont conscients de la situation. L’Europe et la France semblent cependant tentées de se comporter en pur utilisateur. Qu’importe, de ce point de vue, si l’on ne maîtrise pas les techniques fondamentales : il suffira de savoir s’en servir. C’est faux.

Le pays qui maîtrise ces techniques sera le mieux placé pour les utiliser efficacement : elles auront été conçues pour répondre à ses besoins, le milieu scientifique et technique dont elles sont issues forme les compétences nécessaires à leur utilisation. En outre le pays qui produit les composants les plus efficaces pourra toujours s’en réserver l’usage et l’interdire aux autres.

Il est donc vain de croire qu’un pays puisse développer durablement son économie sans maîtriser les techniques fondamentales contemporaines.

Une politique immature, qui ignore la concurrence géopolitique autour de ces techniques, satisfera certains en soutenant des entreprises obsolètes, séduira la population en parlant de l’environnement et en multipliant les mesures « sociales ».

Mais elle n’aura aucun véritable avenir. Car avant de distribuer une richesse il faut l’avoir produite et valorisée sur le marché mondial : or celui-ci sera dominé par les pays qui savent maîtriser les techniques fondamentales et les utiliser efficacement.

On parle d’un retour de la planification. Est-ce une solution ?

La renaissance du Commissariat général au plan dans un contexte de crise sanitaire et économique souligne la volonté des pouvoirs publics de peser plus activement sur le cours de l’économie. Soit mais à condition que la planification soit au service de la stratégie précitée.

La France a ratée la troisième révolution industrielle de 1980.
Ou ont été parmi nos élites les penseurs des transformations en cours, les éclaireurs de l’avenir, les pédagogues du changement ?
« Comédies françaises » ou tragédies françaises ?

Mon ami Louis Pouzin

Membre de l’Institut F. R Bull depuis 20 ans, j’y ai fait sa connaissance. La vocation de l’Institut est d’étudier les conséquences économiques, sociales et humaines de l’emploi généralisé de l’informatique. Il rassemble des personnalités au sein de groupes thématiques.

Je le fréquente au Forum ATENA, think tank à la convergence des entreprises et de l’enseignement supérieur face à la révolution télécommunication/numérique, dont je suis administrateur, trésorier et président de l’atelier Intelligence économique ainsi qu à Eurolinc.

En 2002 Pouzin a participé à la création de Eurolinc, une association sans but lucratif qui fait la promotion du multilinguisme dans les noms de domaine.

En Juin 2003, Eurolinc fut accréditée par l’ONU pour participer au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI).

En Novembre 2011, Louis fonde Savoir-Faire, une SAS dont je suis administrateur et actionnaire. En 2012, nous développons un service appelé Open-Root, dédié à la vente des domaines de premier niveau (TLD) dans tous les scripts en dehors de l’ICANN .

Avec Open Root, Louis Pouzin, père de l’Internet, veut révolutionner sa gouvernance. www.open-root.eu. Concepteur du réseau Cyclades et coinventeur du protocole TCP/IP, Louis est à l’origine d’Open Root, une solution alternative à celle de l’Icann qui distribue les noms de domaine. Il participe en outre à la refondation d’internet avec RINA.

Internet est basé sur un protocole TCP/IP conçu dans les années 1970. Il connaît une forme de saturation. RINA (Recursive Internet Network Architecture) est une architecture basée sur de nouveaux principes de construction qui permet de concevoir différemment le système.

RINA permet de développer des applications ignorantes les unes des autres en isolant leurs ressources, ce qui a un avantage considérable en matière ce cybersécurité.

RINA fonctionne 1000 fois plus vite que TCP/IP et cela de manière beaucoup plus sécurisée puisqu’il s’agit d’une couche unique basée sur la récursivité.

L’américain John Day, un des pionniers du projet Arpanet, ancien collègue de Louis Pouzin. a conceptualisé RINA. RINA est basé sur les racines Open Root. Open Root constitue une seconde source contre les dangers de l’internet “unique”.

Entre les pannes du réseau unique et les attaques par ransomware il est clair qu’avoir une deuxième source dans internet devient impératif. Les patchs logiciels ne peuvent pas toujours contrer les dangers d’un internet mondial.

Open-Root et son réseau indépendant et sécurisé permet aux OIV (Organismes d’Importance Vitale) de garder la maîtrise de leur fonctionnement et de sauvegarder leurs applications.
Open Root permet une gestion “privée” de ses prestataires ou d’une population cible.

Indépendant des organismes de normalisation d’internet, Open-Root vend des Top Level Domains (TLD) pour offrir une gestion sécurisée et innovante des communautés web.

Louis a toujours répondu favorablement à mes invitations comme intervenant dans les séminaires que j’ai organisés. Par exemple – En 2016 « L’innovation : Sciences et Politique face aux défis de la troisième révolution industrielle. » – Le 27 juin 2017 « Journée Souveraineté numérique » à Sciences Po. – Le 13 février 2019 Conférence de Louis Pouzin et Chantal Lebrument dans les locaux d’IESF (Ingénieurs Et Scientifiques de France). Louis POUZIN Chantal LEBRUMENT

L’ordre du jour de la conférence fut la présentation du livre de Chantal Lebrument, “Louis Pouzin l’un des pères d’internet” et une approche de RINA. (Recursive Internet Network Architecture).

Cette conférence a été organisée et présentée par Christophe DUBOIS DAMIEN, président du Comité Economie IESF : http://letraghetto.blogspot.com/2019/05/13-fevrier-2019-iesf-conference-louis.html

– Entretien au siège d’IESF entre Louis Pouzin, Jean Dambreville Délégué Général et moi-même. L’article est paru dans IESF Magazine du 4ème trimestre 2019 avec une première de couverture

« Comédies françaises », d’Eric Reinhardt, Gallimard, 478 p., 22 €, numérique 16 €.

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Article publié dans la Newsletter Forum ATENA n°128 (sept.oct. 2020)