Réindustrialiser l’économie Française

Bernard Biedermann  –  décembre 2021

La configuration de la nouvelle entreprise industrielle a bien changé. Elle agit dans un environnement mondialisé. Elle vend en France, en Europe et si elle veut durer, dans d’autres continent.  Son capital machines et ses robots ont plusieurs origines géographiques. Il en est de même pour ses consommations intermédiaires et pour la gestion de la logistique. Le fonctionnement du capital machine au quotidien est lié à des prestations de services. Une grande part des employés présente des profils spécifiques et doivent suivre des formations adaptées aux outils et aux techniques qu’ils utilisent. L’innovation inhérente aux produits et services et aux facteurs de production est une contrainte permanente, ne serait-ce que par la veille technologique. Le numérique s’intègre dans toutes les fonctions. Du fait de la mondialisation des ventes et des achats la fonction juridique est plus souvent sollicitée (respect des contrats, brevets, normes locales, …)

Dans de telles conditions la culture du management a bien changé :  plus de compétences à tous les niveaux, rapidité de décision, structure sans silo, moins de niveaux hiérarchiques, bonne capacité de communication sur des sujets très techniques, pratique des langues étrangères, esprit d’innovation, rigueur et souplesse adaptative dans les procédures de fabrication … A cela s’ajoute les nouvelles contraintes liées à la cybersécurité et au risque d’espionnage. De plus, toute décision doit comprendre une évaluation sérieuse de la prise de risque due à la logistique internationalisée, à la qualité de service des contrats de maintenance et aux effets de surprise de l’innovation. Dans ce contexte le relationnel du management est responsabilisant et basé sur la confiance. Au quotidien, le salarié décide, sa hiérarchie valide ensuite.

Plus que jamais l’innovation découle de la recherche. De Gaulle avait dit « des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche ». Aujourd’hui, nos chercheurs doivent sortir de leur monde pour rencontrer, écouter, comprendre et trouver sous la contrainte des délais du marché. Se pose alors la question de la répartition des tâches entre le CNRS, ses organismes et la recherche dans le privé comme cela se passe en Corée, en Chine et en Inde.

Alors, éducation et formation professionnelle doivent s’adapter avec pour objectif de mieux répondre à la demande des nouvelles industries en intégrant les nouvelles attitudes proches du terrain comme par exemple la recommandation selon laquelle, il faut faire pour apprendre et non plus uniquement apprendre pour faire. Il convient également de sortir des préjugés d’autrefois selon lesquels le travail dans l’industrie est manuel donc fatigant, salissant, dévalorisant et mal payé. C’est beaucoup moins le cas pour « l’ouvrier » qui travaille sur des machines ou des robots, très sophistiqués, et qui exerce des fonctions de contrôles et d’ajustements techniques. En revanche dans le secteur des services qui a une connotation positive, il y a encore beaucoup de métiers salissants, pénible et répétitifs. Concernant le marché de l’emploi, il est regrettable qu’un si grand nombre de nos ingénieurs quitte la France pour travailler à l’étranger sur des projets qu’ils jugent très attractifs et pleins d’avenir et pour lesquels ils sont mieux rémunérés. La perte de notre savoir-faire a également pour origine des attitudes politiques comme par exemple contre le nucléaire qui ont affaibli les compétences que l’on avait sur l’EPR de Flamanville. Dans le petit monde des start-ups, on constate régulièrement des innovations extraordinaires qui mériteraient qu’on en parle beaucoup plus dans l’éducation comme par exemple, cette start-up dont le business est de former des informaticiens qui n’ont fait que des études de lettres.

On le constate, la future réindustrialisation française est un ensemble multifactoriel auquel il faut ajouter les contraintes environnementales et la nécessité de travailler en cluster régionaux pluridisciplinaires comme c’est déjà le cas dans beaucoup de pays qui communiquent avec succès pour inciter des entreprises étrangères à s’installer chez eux. Les réalités économiques sont bien sûr fondamentales mais devront surtout être replacées dans le nouveau contexte. Il ne faudra pas refaire les mêmes erreurs que celles du passé et prendre conscience que potentiellement on risquera de faire les nouvelles erreurs difficiles à anticiper. Il y a eu dé-industrialisation à cause d’un excès de confiance dans le secteur tertiaire, voire d’hypnose, alors que nos amis allemands ont été plus réalistes.

Sur le plan strictement économique, le critère, c’est le niveau de compétitivité c’est-à-dire le prix du produit sur le marché. Et de ce point de vue, le débat n’est pas toujours aussi simple qu’il en a l’air. On a trop tendance à comparer entre pays les niveaux de salaires + charges + impôts alors qu’il faudrait comparer les prix de revient des produits vendus par des sociétés de nationalités différentes car les calculs des coûts intègrent les niveaux de productivité, variables prédominantes dans la nouvelle industrie. Ainsi en Europe, on constate que ce sont les pays où les coûts salariaux horaires sont les plus élevés que les taux d’industrialisation dans le PIB sont les plus importants. Cette remarque n’exclut pas le fait qu’il est souhaitable que le poids de l’état (dette incluse) de l’économie française diminue vers le niveau de la moyenne des autres pays et ce, pour des raisons d’équilibre macro-économique. Il faut également bien comprendre que les comparaisons internationales actuelles sont biaisées par le fait que l’on compare des coûts de production d’usines étrangères avec des coûts français qui n’existent pas puisque nos industries n’existent plus !

Avec la crise du Covid, on s’est reposé la question de la spécialisation d’une économie. Au 19ème siècle, David Ricardo suggérait dans les avantages comparatifs, que l’Angleterre fabrique des draps pour elle-même et pour le Portugal alors que ce dernier produirait du vin pour les deux pays. De nos jours les choses sont beaucoup plus compliquées parce qu’il faut tenir compte des risques de rupture logistiques et des aspects juridiques. De plus, les recommandations visant à relocaliser en France, des usines produisant en Asie semblent souvent irréalistes car les écarts de coûts de production sont très élevés, beaucoup plus qu’entre les pays européens. Par ailleurs, les gains de productivité liés aux niveaux des productions auxquels s’ajoutent des années d’expériences conduisent à penser que la relocalisation de certaines productions comme celle des semiconducteurs restera extrêmement difficile. Et vouloir relancer l’économie par la consommation conduira à une augmentation des importations et à un nouveau déséquilibre extérieur.

De ce qui précède, on peut imaginer que le rôle de l’état pour aider et accélérer la réindustrialisation de la France ne sera pas chose facile, surtout si l’on tient compte de la situation de nos budgets. Cette complexité devra conduire à une décentralisation des décisions comme par exemple pour réduire les délais de procédure pour disposer de surfaces destinées à l’immobilier industriel visant à inciter des entreprises étrangères à s’installer en France et non pas à l’étranger. Bien d’autres réformes sur la vie de l’entreprise et son environnement seront   nécessaires.

Bernard Biedermann