Par Geneviève Bouché pour Forum Atena – lundi 27 septembre 2021
Ce rapport parlementaire, publié le 29 juin 2021, a pour titre « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ». Le rapporteur en est le député Philippe Latombe.
Ce rapport, très bien écrit, est néanmoins sujet à étonnement :
- Il est sorti avec un peu de retard : ceci peut s’expliquer par le grand nombre d’auditions qui ont été menées en amont de sa rédaction. Cela peut également s’expliquer par la difficulté à rédiger un rapport aussi stratégique : le numérique n’est pas un secteur économique, c’est un espace à défendre car il est source de prospérité, mais notre patrimoine immatériel et nos concitoyens peuvent y être pillés, manipulés et asservis. C’est un espace en expansion dont il faut comprendre les forces en présence. Pour le défendre, il est nécessaire de posséder des connaissances techniques et stratégiques très pointues.
- Il est sorti sans bruit : pas un mot dans la presse spécialisée telle que 01, JDN ou FrenchWeb. Un des rares commentaires sur NextImpact a été de rappeler que cela fait 20 ans que le sujet est sur la table et que rien ne bouge.
Un rapide coup d’œil sur les 261 pages du rapport donne envie de saluer le travail qui a été fait.
Mais le cru n’est pas très long en bouche : les mesures proposées se regardent un peu comme des perles enfilées dans un collier : sans ambition ni vue stratégique. L’exécutif va pouvoir picorer les perles qui ne lui posent pas de problème … Au risque d’obtenir le contraire de ce que recherchent les Français et les Européens.
Par exemple, il va pouvoir accentuer l’aide à la numérisation des entreprises, ce qui va coûter très cher. Grâce à ces aides, elles vont investir dans des solutions disponibles, c’est-à-dire essentiellement des solutions américaines. Or, soutenir nos éditeurs de solutions permet de se réapproprier notre territoire numérique.
L’argument du manque de maturité de nos logiciels ne tient pas : nos informaticiens ne demande qu’à développer leur expertise qui, est d’ailleurs franchement bonne vu le succès de nos congénères dans la Silicon Valley. Les grands acteurs du numérique localisent leurs laboratoires en France en raison de la qualité des talents, le potentiel des savoirs et le système social qui est plus efficace sur le plan financier !
La souveraineté numérique (française et européenne) est exclusivement une affaire de volonté qui commence par de la stratégie.
L’armée commence par faire de la stratégie avant de préconiser des actions et des armes. La stratégie est une discipline qui semble sortie des radars de nos « grandes écoles ». Les collégiens qui ont pu faire du latin ont eu une opportunité de traduire des textes extraits de textes de Jules César et de quelques autres grands stratèges, puis d’en discuter avec leurs enseignants. Mais cela reste extrêmement rare. Les stratégies financières et marketing enseignées dans les écoles de commerce ne sont pas, ou quasiment, des initiations à l’art de la guerre.
Forum Atena a été auditionné en second, après le secrétaire d’état au numérique. Nous avons axé nos propos sur cette dimension stratégique. Le rapporteur a préféré retenir les propos d’acteurs plus en prise directe avec le quotidien et des aspects strictement commerciaux.
Une lecture plus approfondie va nous permettre de mieux apprécier le réel travail de Philippe Latombe et son équipe, mais vu les dernières annonces de la ministre de la transformation et de la fonction publique, cette vision stratégique en matière de numérique semble encore bien gazeuse : elle propose de rendre publique le code source de France Connect et revient sur la promotion de l’Open Data … Un peu comme si notre armée publiait ses plans stratégique et laissait ses stocks de munition à la disposition de qui veut !
En matière de logiciel, nous savons que « code is law ». Nous devons communiquer ce que dit la loi et l’Etat doit s’assurer que le logiciel respecte la loi. Il doit évidement prendre en considération les réclamations qui démontrent que la loi n’est pas respectée. Il n’a pas pour vocation de faciliter la tâche des hackers malveillants.
Quant aux données, mieux vaut en rester aux principes mis au point avec succès en Estonie (X-road) : il est possible d’avoir accès aux données à caractère public à condition d’en faire la demande et de préciser quelles données, pour quel usage. Alors le nécessaire est suffisant et délivré selon des conditions précises (dont pécuniaires et calendaires).
Un rapport parlementaire n’a pas pour vocation de proposer une stratégie de défense du territoire, de l’industrie et de la souveraineté. Il peut solliciter la mise en place d’institutions ad hoc.
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