Geneviève BOUCHÉ  –  Vice-Présidente Forum ATENA  –  mars 2022

Par bien-pensance ou pour faire chic, vous voulez acquérir une voiture électrique : les GAFAM vont vous y accueillir dans l’habitacle et dans le système de conduite. Ils vont ainsi prendre soin de vous et compléter avantageusement l’accaparement de vos données !

En effet, les données liées à la mobilité et le détail de vos tickets de caisse constituent la gourmandise suprême des géants actuels du numérique.

Or, si la monnaie a permis de faire des progrès, ce sont à présent les données qui permettent de le faire. Les sacrifier, c’est sacrifier notre capacité de progrès !

Comment en est-on arrivés là ? Est-ce que cela vous convient ?

« Verdissement » bonjour !

La volonté de « verdissement » de l’économie devient une posture volontariste de la haute finance. L’idée est de saisir cette opportunité qui est fortement plébiscitée par les créatifs sociaux, c’est à dire ceux qui ont envie de changer le monde.

Pendant que nous nous mobilisons sur quelques paramètres écologiques, souvent avec talent, (saluons au passage Jean Marc Jancovici), notre attention est détournée des raisons profondes de la nécessité de ce « verdissement » : mettre un terme à l’idée de « conquête du monde », « quoi qu’il en coûte » (sur le vivant) !

L’exemple de l’automobile est intéressant à cet égard. Ce secteur, dans les économies dites « développées », représente en moyenne plus de 13% du revenu des ménages et donc du PIB. Il a été développé après la dernière guerre mondiale autour de la fascination pour la « bagnole » pour les plus viriles d’entre nous et de la « cabane roulante » pour les enfants désireux de « faire famille » dans les moments de mobilité. 

Selon toute logique, le verdissement du secteur de l’automobile devrait passer par le développement de l’économie de la fonctionnalité, c’est-à-dire l’idée de ne plus posséder de voiture, mais d’en disposer au coup par coup, là où nous en avons besoin, puisque plus de 80% en moyenne de nos automobiles végètent le long des trottoirs ou au fond des garages, en termes de temps d’occupation. 

Cette logique, si elle est mise en œuvre, fait passer le parc automobile dans un rapport de 10 à 1. Ainsi, lorsque nous fabriquons et entretenons 10 véhicules, il ne suffirait d’en fabriquer seulement 1. Bien entendu, pas la même voiture : ce serait un véhicule intelligent, facile à entretenir et très robuste pour pouvoir passer de mains en mains. Ce n’est plus un phallus, ce n’est plus une cabane, c’est un utilitaire qui vous emmène vous et vos objets, d’un point A à un point B. Le plaisir n’est plus dans le moment de transport, mais dans celui du mouvement. Le transport aérien low cost nous a démontré que nous y sommes prêts.

Le hic, c’est que sur le plan économique, au sens où nous l’entendons actuellement, une politique de développement de l’économie de la fonctionnalité appliquée à l’automobile semble être un désastre. Outre la certitude de destruction d’emploi qui en découle, cette forme d’économie « dépatrimoinise » les ménages qui, si nous n’y prenons garde, voient leurs dépenses contraintes augmenter sans cesse. De plus, ces dépenses contraintes sont gérées par des géants qui deviennent ostensiblement des dictateurs. 

Quoi qu’il en soit, le verdissement centré sur le pari électrique (pour les véhicules de tourisme) semble commencer à répondre à un désir que nous sommes de plus en plus nombreux à exprimer en tant que consommateurs et électeurs. Mais pour répondre sérieusement aux questions des minerais et du recyclage, nous devrons en passer par l’économie de la fonctionnalité.

La côte mal taillée qui est en cours de déploiement est le « reconditionnement ». La fabrication de véhicules neufs commence à ralentir, mais la modernisation aussi et donc le passage à l’électrique. 

Dès lors, cette évolution génère du chômage et ce chômage met à mal l’économie qui peu à peu manque d’acheteurs : c’est l’inquiétant effondrement de la classe moyenne qui nous guette … 

Ainsi, le verdissement de l’économie passe par des étapes complexes de recherche de solutions quant à la réorientation des activités humaines vers de nouvelles formes de création de valeur et la mise en place de flux de pouvoir croisés entre le collectif et l’individuel … Plus précisément, nous devons inventer la manière de mettre en synergie le pilotage de l’économie et la gouvernance du bien commun.

Sommes-nous dans la bonne direction ?

Pour le moment, les constructeurs automobiles occidentaux font allégeance aux GAFAM. Après la folie des voitures autonomes et les épisodes rock’n roll du développement de Tesla, les acteurs du numériques d’une part et ceux de l’automobiles se sont convaincus de leur complémentarité. Mais au lieu de faire des alliances, ils cherchent à se dévorer les uns les autres, ce qui est, hélas, logique puisque ceux qui dirigent ces géants, ainsi que leurs bailleurs de fonds, sont encore imbibés de pensées du siècle précédent.

Les acteurs du numérique prennent naturellement l’ascendant, puisque depuis quelques décennies ils accumulent de la puissance financière à la faveur de la distorsion qu’il y a à faire fonctionner notre logique économique, historiquement développée pour les activités agraires et artisanales, puis vaguement adaptée à l’économie industrielle. Arrivée à l’économie de l’immatériel, ce modèle vol en éclat et ils en profitent.  

Ceci leur permet de tenir le discours suivant aux constructeurs automobiles : pour aller vite dans cette compétition mondialisée, passez par nous. Ils résistent en préservant leur expertise, mais concèdent l’hégémonie numérique aux GAFAM.

Apple voulait faire une « Apple car » en sous-traitant la réalisation de sa voiture chez un grand constructeur, comme il l’a fait avec succès pour les téléphones … en vain pour le moment. Le mieux que les constructeurs automobiles ont obtenu, ce sont des partenariats. Ils ont évité de devenir dès à présent des sous-traitants.

Mais soyons convaincus que les industriels Européens sont certes dans une compétition mondiale où ils ont la sensation de devoir aller vite tant sur les questions d’énergie que des questions de numérique. Ils se focalisent sur le premier sujet. Ils doivent comprendre qu’ils peuvent compter sur les acteurs du numérique européen. 

Cependant, il revient à ces derniers de rappeler que nous avons Galiéo, OpenStreetMap et à peu près tout le reste pour aller se loger dans un véhicule intelligent. 

C’est en les utilisant que nous allons leur donner les moyens de se perfectionner et d’apporter une alternative actualisée technologiquement et donc stimulante pour les concurrents.