Le marketing a remplacé le marché

 Bernard Biedermann  –  décembre 2021

Cet article suggère de revoir la théorie de la formation des prix du fait que depuis plusieurs décennies, la majorité des entreprises ont récupéré, dans leurs directions de marketing les mécanismes de bases du marché tout en les modifiant pour maîtriser leur stratégie. Cette récupération par les directions du marketing s’applique, au processus de formation des prix, ainsi qu’à la conception des produits et services, dans la majorité des secteurs d’activité avec une importance croissante en fonction de la taille de l’entreprise et de la complexité des produits. Bien évidemment, tous les secteurs ne sont pas concernés par cette évolution, comme par exemple :  les matières premières, l’agriculture, les services offerts par une petite entité de personnes, les produits et services issus de conception très simple… 

Les écrits des théories libérales constituent depuis plus d’un siècle un modèle de référence du libéralisme. Parmi les plus connus, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, David Ricardo puis des néo-classiques comme Léon Walras, Vilfredo Pareto et plus récemment Maurice Allais, Milton Friedman…Ces écrits libéraux ont deux fonctions principales : offrir une boîte à outil permettant aux économistes d’analyser une situation et dans un deuxième temps, être un modèle de référence d’équilibre pour la politique économique. Dans les pages qui suivent nous suggérons de remettre à leur place ces modèles qui à notre avis ont pris un coup de vieux par rapport aux fonctionnements des entreprises contemporaines.

De nombreux auteurs comme Michaël E. Porter, professeur à Harvard Business School, (Choix stratégiques et concurrence, Economica) ont décrit avec précision et exhaustivité les nouveaux comportements des entreprises. Mais leurs intentions consistent avant tout à donner des conseils de gouvernance. Dans les pages qui suivent, les exemples dans le domaine de la gouvernance sont cités pour illustrer ces nouveaux comportements qui récupèrent la fonction de marché.

                                                Bref rappel des hypothèses du modèle néoclassique

La concurrence pure et parfaite est la principale condition permettant la formation du prix d’équilibre. Elle est liée à plusieurs hypothèses qui constituent des références conceptuelles utiles pour expliquer des déséquilibres :

  • L’atomicité de l’offre et de la demande,
  • La libre entrée et sortie du marché,
  • La transparence de l’information,
  • La mobilité des facteurs de production,
  • L’homogénéité des produits.

Dans ces conditions même sur le court terme, une économie tend vers la situation d’équilibre grâce aux mécanismes d’ajustement comme la main invisible d’Adam Smith ou par des tâtonnements progressifs décrits par Léon Walras. On distingue la courte période qui décrit les comportements sur les marchés, de la longue période dans laquelle les profits réalisés attirent les nouveaux entrants avec des facteurs de production dont les coûts marginaux se rapprochent des coûts moyens, ce qui fait tendre les niveaux de profit vers zéro.

Les économies contemporaines fonctionnent-elles comme dans les modèles classiques, néoclassiques, keynésiens ?

Nous suggérons une autre analyse selon laquelle depuis plus de 50 ans, progressivement, la grande majorité des entreprises ont intégré le mécanisme de formation des prix dans leurs directions de marketing qui pilotent le développement des produits avec bien sûr, la détermination de leurs prix à court terme et à long terme. Le concept de main invisible et les mécanismes de formation des prix comme celui du tâtonnement n’existe plus pour ces produits et services.

Evidemment, cette analyse alternative ne s’applique pas à tous les secteurs économiques. Par exemple, les biens alimentaires provenant des exploitations agricoles font l’objet de marchés où se rencontre l’offre et la demande de manière bien organisés. C’est également le cas pour beaucoup de matières premières, pour les marchés boursiers, certains profils sur le marché du travail, et bien d’autres biens et services de type culturels ou liés à la personne. Il convient également de positionner notre analyse dans un contexte « normal » en excluant des situations de chocs externes exceptionnels comme avec la Covid 19.

Fonctionnement d’une direction du marketing

Prenons le cas d’un nouveau produit ou service. Les études de marchés et les analyses internes de produits comparables, alternatifs, voire complémentaires conduisent à un processus de lancement du nouveau produit qui répond à un besoin existant ou nouveau. Les comptes d’exploitation prévisionnels déterminent des quantités de ventes des années à venir en se basant sur des hypothèses de capacités de production de l’entreprise, dont les niveaux seront réajustés sur la base des résultats des ventes. Ce comportement ressemble à une anticipation de demande mais ne peut être assimilée au principe de l’«effective demand»  keynésienne (qui aurait dû être traduit en français par « demande efficace ») qui, par définition, relève  plutôt du moyen terme et surtout, est une demande anticipée alors que l’entreprise actuelle réajuste sa production sur la base de résultats effectifs (et non pas d’anticipations efficaces).

Dans l’entreprise, un dossier de lancement de produit est une activité stratégique liée à la taille de l’entreprise et au type de produit. Ce qui ne veut pas dire qu’une start-up n’a pas d’approche marketing. Sont impliqués : la production, les achats, la direction juridique, la communication, la logistique, les DRH, le service après-vente et bien évidemment la direction financière. Lorsque le nouveau produit fait partie d’une gamme existante, son prix devra se positionner par rapport à ceux des produits voisins avec parfois une mise à jour de la stratégie concernant toute la gamme.

Du point de vue des acheteurs, la définition d’un produit est un ensemble comprenant : des caractéristiques, des fonctionnalités, des avantages, des atouts, des performances, une image, un type de vente (produit ou service ou produit et service), une espérance de vie, un niveau de fiabilité, le choix d’un  canal de distribution, un positionnement prix, une fréquence d’achat, un éventuel niveau de financement, des services liés (formation, SAV), et bien d’autres critères qui participent à la décision de « signer ».

L’offreur a totalement conscience que son produit ou service appartient à un type d’offre caractérisée. Dans le domaine de la consommation il peut s’agir de produits, de la vie courante, de la sécurité, des premières nécessités, des loisirs, affectés ou non par les contraintes des délais, avec un certain poids dans le budget, etc. Dans le domaine de l’investissement il y a, les délais, le degré d’urgence, le type de fonction (production, productivité, réforme numérique), le niveau d’innovation, le cadre générale (croissance forte, internationalisation, …), etc. Dans les deux cas, le marketing a bien conscience de l’espérance de vie du produit, pour son entreprise et pour l’acheteur.

Les stratégies de définition de produit se fixe également comme objectif de proposer un produit qui tende vers un positionnement de monopole, globalement ou, pour certains éléments qui composent sa définition. L’objectif étant de maintenir le positionnement le plus longtemps possible.  Le marketing en charge du dossier est bien conscient de tous ces éléments et se forge une attitude de conviction pour convaincre les autres directions. On s’écarte alors de l’état d’incertitude que décrivait Keynes lorsque les dirigeants repoussaient à une date ultérieure une prise de décision, et ce d’autant plus que la date de lancement du produit peut être également un facteur financier déterminant. L’approche probabiliste intégrant des niveaux de risque est également repoussée avec plus ou moins de succès, du fait que les études de marchés ont justement pour objectif de les minimiser. De plus le lancement d’un nouveau produit ou service n’engendre pas nécessairement une augmentation des facteurs de production dès le début, ce qui réduit le niveau de risque et donc l’incertitude potentielle. Il y a bien sûr des contres exemples comme « l’achat » à très haut prix d’un footballeur exceptionnel qui devra continuer à faire ses preuves sur une durée longue et surtout à une date précise. Analyse efficace, plan opérationnel bien conçu, convictions partagées, fondent des attitudes que l’on retrouve dans le processus d’élaboration des prix.

L’élaboration d’un prix souhaité rigide résulte de plusieurs variables :

  • Respect du niveau d’OTM (Objectif de Taux de Marge)
  • Positionnement correct par rapport aux autres produits de la gamme
  • Conditions de la stratégie de lancement
  • Autorisation octroyée au forces commerciales de faire des niveaux de remise, au cas par cas, sous certaines conditions, et en accord avec les objectifs de ventes des directions locales.

L’OTM, le positionnement dans la gamme et la stratégie de lancement sont fondés sur des expériences et des analyses d’informations du passé. Les autorisations de remises s’appliquent à des situations potentielles futures plutôt spécifiques comme par exemple :

  • Une stratégie commerciale pour gagner un nouveau compte à fort potentiel quitte à se rattraper ultérieurement quand le client sera bien encadré.
  • Une compensation pour rétablir de bonnes relations avec un client mécontent
  • Un écart trop important entre les résultats et les objectifs par agence

Gestion des prix dans le temps

On constate que les prix ne résultent pas d’un mécanisme de marché mais bien de décisions préalables volontaristes avec de faibles adaptations, éventuelles décidées sur la base des écarts entre les résultats et les objectifs constatés. Il en résulte des niveaux de prix plutôt rigides. Cette rigidité ne peut être imputée à l’incertitude. Les prix sont donc imposés et les quantités effectivement commandées résultent entre autres de l’influence des actions de vente.

De par sa définition, ses caractéristiques, ses fonctionnalités, ses avantages et ses atouts, il est souhaitable qu’un nouveau produit se positionne en monopole le plus longtemps possible en partie ou en totalité. La stratégie de prix peut alors s’orienter vers un niveau de prix pas très élevé dans le but de ne pas inciter d’autres entreprises à lancer rapidement le même produit. Bien entendu, la stratégie s’accompagne de règles confidentielles et de secrets ; Il n’y a donc pas de transparence. Ceci  ne ressemble pas au fonctionnement du marché décrit par les théories. De plus, une vision à long terme intègre des gains de productivité des facteurs de productions avec des anticipations de profit.

D’une manière générale, les gestionnaires de produits n’aiment pas les fluctuations de prix importantes, on préfère une stabilité conforme au business plan et aux exigences des financiers. Avec le temps, les fluctuations de prix après remises d’un produit ou service ont tendance à se stabiliser par effet statistique. Par ailleurs l’objectif d’une stabilité des prix de vente peut également se traduire par la nécessité de contrôler les achats de produits et service destinés au process de production. Le principe de stabilité des prix entretenu sur le long terme peut conduire au concept de convention alors qu’il s’agissait d’un concept lié à l’absence de rationalité. De plus la demande exprimée sur un marché est souvent perçue par les entrepreneurs à travers le prisme déformant de la demande solvable liée au pouvoir d’achat.

Dans les secteurs qui vendent des produits et services sophistiqués, il y a souvent autant de prix qu’il y a de clients pour des prestations comparables.

Dans la grande distribution, il y a bien entendu les produits alimentaires dont les mécanismes de prix ne sont pas très éloignés du fonctionnement théorique du marché. En revanche il y a régulièrement des promotions sur certains articles avec pour objectif d’en faire vendre d’autres ou pour modifier la date d’achat. Le distributeur a une idée du prix moyen le plus élevé que le consommateur est prêt à payer, ce qui lui permet de déterminer un prix de vente qui procure à l’acheteur un « gain » monétaire. Pour les produits de luxe, en créant du storytelling de marque ou en utilisant les influenceurs pour attiser la demande des consommateurs, les marques brouillent les pistes concernant la part du rationnel dans la demande des consommateurs.

La stratégie consistant à planifier la date de l’achat peut se justifier par plusieurs raisons (budgétaires, fiscales, logistiques, plannings saisonnier, …) que le marché ne peut pas toujours anticiper.

Dès son lancement, la vie des produits et des services est suivie statistiquement et en termes de vécu. Les niveaux de prix des nouveaux contrats sont particulièrement suivis dans les premières phases en tenant compte de l’effet statistique qui se renforce avec temps. On peut alors nuancer les causes de la rigidité. Si effectivement après plusieurs constats les quantités facturées ne correspondent pas à ce qui avait été prévu dans le business-plan, le marketing peut modifier les prix catalogues. Mais ces interventions se font en petit nombre sur le long terme et   pas forcément lorsque le produit rentre dans sa phase de fin de vie car dans certains cas on préfèrera accepter une baisse des ventes en maintenant le prix et donc le taux de marge sans augmentation des facteurs de production. Il y a également le fait qu’une baisse de prix n’a pas forcément d’effets immédiats sur la recette totale. Il y a un décalage entre les baisses des profits unitaires et l’effet différé sur le chiffre d’affaires. L’entreprise agit donc comme si la demande est censée influencer le prix mais préfère en garder le contrôle pour se conformer aux objectifs qu’elle s’était fixés.  Dans le cadre des négociations contractuelles avec des gros clients, l’offreur peut accepter au début un prix très bas avec un engagement de la stratégie commerciale qui vise, chez le même client à se rattraper sur le long terme. Il y a aussi le cas de figure où le client s’engage à devenir une référence publique en contrepartie d’une remise élevée qui en quelque sorte constitue un coût publicitaire.

 Le marché est relocalisé dans la direction du marketing    

Cette brève description du fonctionnement des services de marketing devrait-être considérée comme une nouvelle hypothèse de comportement de l’entreprises actuelle. Et cette hypothèse serait définie comme étant le fait qu’aujourd’hui les objectifs des mécanismes du marché sont intégrés dans l’entreprise. En poussant à l’extrême, le marché n’existe plus, sauf évidemment pour certains secteurs (alimentaire, matières premières, prestations et services dont les définitions sont simples, …). On analyse les historiques et on fabrique un futur. Depuis plusieurs décennies, La continuité du développement des directions de marketing conduit à penser que les stratégies s’avèrent le plus souvent efficaces avec des spécificités culturelles.

Ainsi, le fossé entre les théories néoclassiques et la réalité s’est agrandi, qu’il s’agisse de leurs utilisations en tant qu’outils permettant d’expliquer des déséquilibres ou d’un paradigme servant de référence pour établir des objectifs de la politique économique. On peut également se reposer la question du rôle de l’action en tant qu’elle conduit à une meilleure connaissance des fonctionnements de l’économie plutôt que d’opposer théorie et réalité.

Sans pour autant rejeter l’utilité des théories néo-classiques en matière de recommandations nous suggérons alors une autre approche susceptible d’intéresser les économistes à analyser un système devenu de plus en plus complexe.

                                                   Le monde des neurones et celui des réalités

On pourrait alors imaginer deux mondes interconnectés : le monde des neurones et celui des réalités. De manière continue, le monde des neurones entretien un flux continue de décisions économiques qui modifient les aspects opérationnels de la réalité. Il s’agit d’une fonction permanente de transformation d’un état vers un autre, agissant sous des contraintes qui s’imposent dans les deux sens. La fonction est irréversible. De la réalité économique qui évolue de manière continue, un flux d’informations remonte lui aussi de manière continue vers le monde des neurones. Les deux flux s’entretiennent mutuellement. Le flux montant concerne des informations du présent et du passé. Le flux descendant comprend des actions, applicables immédiatement ou à terme de manière confidentielles ou non. On ne peut alors suggérer que le marché dicte intégralement sa loi.

Dans sa globalité le moteur neuronal est beaucoup plus long à expliquer. Alors partons de la simple l’hypothèse que l’entrepreneur a horreur du vide surtout lorsqu’un projet s’inscrit dans une espérance. Le profit escompté résultant des équations du marché ne serait qu’une composante de la machine à décision. Des décisions dont les résultats peuvent être des réussites ou des échecs par rapport au business plan. De même, les flux d’informations remontant des réalités ont une épaisseur de trait et diffusent bien sûr des vérités et des informations fausses. Cette vision simpliste ne doit pas exclure le fait que les réalités économiques et donc les process de décisions sont complexes, souvent imprévisibles car truffées de surprises. De plus, sur une certaine période, lorsqu’une entreprise agit peu sur la réalité, il n’y aura pas d’informations remontantes. Le vide constitue néanmoins une information importante. De là à vouloir expliquer les phénomènes économiques par quelques hypothèses mises en équations mathématique constitue un objectif ambitieux voire irréaliste. Les problèmes complexes ne sont plus résolus sur un marché imaginaire pouvant conduire à un équilibre mais dans des directions compétentes.

Le monde des réalités ne peut pas subir de changement jusqu’à l’instant T du présent. Il s’impose avec son principe de réalité et un avenir déterminé ou pas, probabilisable ou pas. Le monde des neurones est flou, changeant, souple puis irréversible par son flux d’actions vers le monde des réalités.

Quel est le profil de l’entrepreneur contemporain ?

Certes, la logique du profit permettant un revenu élevé et durable pour l’entrepreneur existe toujours, mais il y a bien d’autres motivations. L’ambition de la réussite, la valorisation sociale, de la considération, le goût du pouvoir et de la liberté et chez les jeunes créateurs l’envie de militer dans de nouvelles actions sociales et écologiques. Au quotidien, l’entrepreneur éprouve du plaisir à résoudre mille problèmes et prendre les décisions qui impliquent sa société dans des nouveaux projets pour gagner des nouveaux marchés. Tous les jours il apprend des nouvelles techniques qui renforce sa détermination. Sa vie se construit sur des fortes implications qu’il aime partager avec ses collaborateurs. Et souvent, avec l’âge, son entreprise deviendra son bébé. Cette brève description ne s’applique pas uniquement au créateur qui a lancé sa PME mais aussi aux cadres dirigeant de grandes sociétés qui ont créé une nouvelle direction et l’on développée.

Au quotidien, ses contraintes sont nombreuses :

  • Gestion de la confidentialité relative aux nouveaux projets alors que leur gestion doivents se concrétiser par des actions ouvertes.
  • Attitude efficace et critique face à la qualité, la quantité et la fiabilité des informations.
  • Prise de décisions dans un contexte de scénarii auxquelles on affecte des probabilités subjectives
  • Volonté de réduire tout ce qui est entouré de subjectivité
  • Nécessité de prendre les décisions dans un délai court et imposé
  • Evaluation des marges d’erreurs
  • Gestion de l’incertitude

L’entrepreneur prend des décisions sous la présence d’une représentation personnelle du fonctionnement du marché dont il évalue les niveaux, du degré de concurrence, de la vitesse de réaction, des possibilités futures. C’est un peu comme un inconscient qui influence la décision avec plus ou moins d’intensité.

La gestion de l’incertitude se traduit souvent par l’attitude du chasseur de lapin qui tire d’abord et vise ensuite surtout lorsque le produit a une vocation internationale comprenant d’autres offres potentielles. (…)

                                                              Suggestions d’implications théoriques

 

Selon le principe le plus élémentaire de la loi de l’offre et de la demande, une augmentation de la demande sur le marché se traduit ensuite par une augmentation des prix puis par une augmentation de l’offre. Mais si l’on part de l’hypothèse que les décisions des services marketing imposent le niveau du prix on est alors dans une situation où l’adaptation de l’offre à la demande ne se réalise plus grâce au prix. On ne peut plus vraiment parler de dynamique du marché avec processus d’essais et d’erreurs et de corrections ni de défaillance du marché.

La rigidité des prix se traduit le plus souvent par un lissage de leur évolution car l’entrepreneur préfère la stabilité. Une autre interprétation explique la rigidité des prix par la lenteur du processus d’ajustement de l’offre à la demande. Très souvent on attend les résultats « officiels » ; on est donc bien loin de la demande anticipée Keynésienne et du principe de la demande efficace. De plus on ne peut plus vraiment parler d’incertitude dans la mesure où les services de marketing suivent de près les évolutions des taux de remise constatés, aussi faible soient-ils, bien que conforme aux recommandations confidentielles destinées, aux cas par cas aux forces commerciales dans le cadre de négociations. Selon le secteur, l’ajustement peut être réalisé par des actions de logistique. Dans les cas de figure de vraie concurrence, on peut également faire l’hypothèse que chaque entrepreneur attend qu’un autre entrepreneur soit le premier à modifier le prix de son produit. Ce comportement est conforme à l’idée du coût du catalogue.

Dans les secteurs où les entreprises ont pris une partie du pouvoir sur le marché, la concurrence         n’agit sur les prix et sur les offres que sur le long terme c’est à dire avec peu d’ajustements. Les anticipations de parts de marchés potentielles contribuent à la décision relative à la rigidité des prix avec une durée fonction de la taille du marché potentiel anticipé. On peut alors en déduire que l’approche théorique de fonctionnement des marchés sur le court terme n’est pas vraiment utile à l’analyse même si l’on construit un modèle qui tente d’établir une logique à partir de la liste des résultats du court terme. Ne faudrait-il pas alors remettre en cause la notion d’anticipation dans la mesure où les valeurs prévues résultent d’un processus de décision préalable. Par ailleurs la suggestion de l’asymétrie d’information est peut-être vraie sur le principe mais ne peut être réaliste car du côté de la demande on voit mal comment il y aurait des anticipations sur l’offre future d’autant plus que l’acheteur à tendance à penser que les prix demeureront rigides. Par ailleurs, l’asymétrie d’information s’explique également par des nuances de fonctionnalités du produit ou du service liées à sa complexité. Par ailleurs, quel que soit le secteur, le concept d’élasticité de la demande correspond bien à des constats dont l’explication est souvent absente.

Surtout en période ou l’inflation est faible, l’élasticité de la demande par rapport au prix demeure plus faible. On doit bien sûr nuancer car sur le long terme le positionnement d’un produit en monopole n’est pas irréversible notamment dans un système économique où l’innovation joue un rôle fondamental. Il faut également tenir compte du fait que les produits et services d’une entreprise ne sont pas tous au même niveau de concurrence. On a trop tendance à généraliser à l’entreprise le positionnement d’un de ses produits et d’en conclure que si le produit est en monopole la fonction d’innovation de l’entreprise en est réduite.

En termes de valeurs, il y a l’approche de Ricardo et celle de Walras. Dans les raisonnements de l’entrepreneur qui contrôle une partie de l’évolution de ses prix on peut alors penser que les deux approches influencent ses décisions. On peut cependant regretter que les économistes ont trop souvent tendance à se référer à des écrits du passé qui s’appuient sur les mécanismes d’offre et demande de produit simples (matières premières, boissons, …)

L’intégration des décisions de logistique dans le comportement des entrepreneurs ne simplifie pas l’approche théorique. Un excès de stock résultant d’un mauvais fonctionnement du marché ou d’une cause externe incite l’entreprise à agir sur les prix de ses produits dont les coûts subissent une hausse et dont la vente n’aura pas d’influence sur les facteurs de production. Ces éléments expliquent pourquoi une théorie expliquant laquelle de l’offre ou de la demande précède l’autre n’existe pas. C’est le point de rencontre entre l’offre et la demande à un moment donné qui fait l’objet de ces théories.

Au niveau macroéconomique, pour François Geerolf la courbe de Phillips n’est pas celle que vous croyez « Pour les biens échangeables, selon que les pays sont en régimes de change fixes ou flexibles, la relation entre taux de chômage et inflation (des biens échangeables) est soit nulle (en changes fixes) car, le prix de ces biens étant fixé sur les marchés mondiaux et le taux de change ne variant pas, il n’y a pas de raison d’observer une relation systématique avec le taux de chômage ; soit positive (en changes flexibles) car le taux de change nominal s’apprécie lorsque le taux de chômage baisse, ce qui pousse le prix des biens échangeables en monnaie domestique à la baisse. »

Bernard Biedermann