Le livre blanc de Forum ATENA « Etat plateforme » est paru. J’en suis co-auteur avec Geneviève Bouché, Eric Blot-Lefevre et Philippe Recouppé.

J’ai rédigé le chapitre : « La notion d’Etat à l’ère du numérique » (45 pages).

J’oppose la vision classique, que j’estime dépassée, de la notion d’Etat à une vision moderne de la notion d’Etat.

La troisième révolution industrielle date de 1980. L’intrant est l’information, la donnée, la data. L’intrant de la première révolution industrielle de 1780 fut la vapeur, l’intrant de la deuxième révolution industrielle de 1880 fut l’électricité.

Fondée sur l’informatique, puis par prolongement sur Internet, l’industrie est mue par les processus normés et informatisés. Nous sommes face à un monde industriel nouveau.

Ce modèle économique contemporain impose le passage de l’ère de la main d’œuvre à l’ère du cerveau d’œuvre, réseau maillé collaboratif.

Les individus disposent d’une puissance de création, d’une  puissance de communication, d’une puissance de coordination sans précédent.

Ils forment la multitude : une communauté créative reliée, connectée et mobile.

Le règne de la donnée à l’ère de la multitude.

2000 a vu les débuts d’internet. Pourquoi quarante ans et vingt ans après les dates précitées est-il encore si difficile pour les Etats, et en particulier l’Etat français, de comprendre, de s’adapter et d’intérioriser cette nouvelle donne ? Ne pas profiter de ses opportunités est un gâchis. Ne pas anticiper ses menaces est un risque.

Vers un Etat plateforme ?

Nos institutions peinent à entrer dans la nouveau monde industriel.

L’Etat et les administrations peinent d’autant plus que leurs visions, méthodes et valeurs correspondent à la deuxième révolution industrielle de 1880.

En France en particulier, les acteurs politiques et les hauts fonctionnaires n’ont pas  compris en fait le paradigme à venir. Il s’agit d’un enjeu de culture. Les responsables ne comprenant pas qu’un paradigme nouveau est en jeu, il leur est impossible d’accompagner une transformation d’une telle ampleur.

Si l’on exclue l’hypothèse peu probable de leur opposition dans le but de conserver leurs zones de compétences, leur simple passivité suffit à bloquer la transformation.

La révolution numérique de l’administration a pourtant commencé. « Government as a platform », « Open Government » ou « Government 2.0” sont les slogans qui l’illustrent.

Cette révolution numérique de l’administration mobilise des énergies et des intelligences.

Elle suscite de nombreux espoirs. Mais elle se heurte à de l’incompréhension et de la résistance au changement.

Pourtant les citoyens expriment volontiers une aspiration à de nouvelles formes de participation, de contribution, de mobilisation des énergies issue de leur multitude.

Une démocratie en trois scènes se dessine : la démocratie dite « directe » des manifestants, la démocratie participative type grand débat national et celle représentative issue des urnes lors des élections.

Tim O’Reilly, écrivain, célèbre pour avoir popularisé l’expression « web 2.0 », a consacré un excellent ouvrage à la notion de « Government 2.0”

Extrait :

Que se passerait-il si au lieu de voir l’administration comme un distributeur automatique, nous l’imaginions comme le manager d‘une place de marché ?

Dans son ouvrage « La Cathédrale et le bazar », Eric Raymond utilise la métaphore du bazar pour distinguer le développement collaboratif du logiciel open source du développement traditionnel. Cette analogie est également applicable à l’administration.

Dans le modèle du distributeur automatique, le menu complet des services disponibles est déterminé à l’avance. Un petit nombre de fournisseurs a la possibilité de placer ses produits dans le distributeur ; les choix résultants sont donc limités et les prix sont élevés.

Un bazar au contraire est un endroit où la communauté elle-même échange des biens et des services.

Mais tous les bazars ne sont pas créés égaux. Certains sont atones, avec un choix guère supérieur à celui des distributeurs automatiques. Alors que d’autres sont dynamiques, remplis de marchands en concurrence pour offrir les meilleurs biens et services, offrant une abondance de choix et de prix abordables.

Dans le monde numérique, l’équivalent d’un bazar dynamique est une plateforme réussie.

 L’administration numérique : un devoir

– L’administration numérique est un devoir car l’administration exerce la plupart de ses missions en situation de monopole. Il est impossible pour les citoyens d’échapper à tout contact avec l’administration. Dotée de prérogatives liées à l’exercice de missions de service public, l’administration doit accepter les sujétions qui accompagnent cette position.

La balance entre prérogatives et sujétions est au fondement même du droit public.

– L’administration numérique est un devoir car l’administration doit garantir la meilleure qualité de service possible à ses administrés.

L’Etat plateforme s’impose parce qu’il est plus efficace de donner leur chance à cent initiatives que de tout miser sur une seule. Nul ne peut être certain d’être toujours le plus innovant, mais il est possible de s’organiser pour attirer les innovateurs sur une plateforme.

– L’administration numérique est un devoir à cause du principe de subsidiarité. Il est préférable de laisser les citoyens régler eux-mêmes les problèmes qu’ils peuvent régler. Il est bien de les y aider et de les en valoriser.

– L’administration numérique est un devoir parce que la vision classique de la notion d’Etat est dépassée.

Une vision dépassée parce que précisément cette vision ne tient pas compte du nouveau paradigme de la troisième révolution industrielle de 1980.

Une vision dépassée parce que l’on constate l’échec des réformes de la gestion des affaires publiques en France

L’Etat se présente comme à la recherche d’innovations dans sa réforme. Mais il peine à les trouver.

La France détient depuis 50 ans un record s’agissant du nombre de politiques lancées.

Elles visent à réformer le mode d’administration des affaires publiques.

On constate le paradoxe d’une avalanche d’initiatives des pouvoirs publics dans un appareil d’Etat présumé être réticent au changement et hyper-bureaucratisé.

  • 1968 : La rationalisation des choix budgétaires (RCB).
  • 1989 : Le renouveau du service public (RSB).
  • 1995 : La reforme de l’Etat et des services publics (RESP).
  • 2001 : La loi organique relative aux lois de finance (LOLF).
  • 2005 : Les audits de modernisation.
  • 2007 : La révision générale des politiques publiques (RGPP).
  • 2012 : La modernisation de l’action publique (MAP).
  • 2017 : Le programme « Action publique 2022 » (AP 2022).

Bref au total l’efficacité des politiques mises en œuvre comme acte de management moderne est très relative.

Une vision dépassée parce que le modèle classique est en faillite financière.

La France est surendettée à hauteur de 100% du PIB.

Pourtant cette vision classique de la notion d’Etat est encore quasi-unanimement partagée au 21ème siècle encore en 2020 par tous les agents économiques et en particuliers les décideurs politiques et économiques et même les économistes.

Après 2008, après la crise financière des subprimes, le principal défi auquel les Etats ont été confrontés, dans la plupart des pays et en particulier les pays les plus avancés, a été de réfléchir à passer du statut d’Etat sauveur à une ambition de statut d’Etat stratège.

Etat sauveur, je fais référence à l’intervention massive des Etats et des banques centrales.

Intervention massive pour sauver les marchés, pour sauver les banques, pour améliorer la conjoncture économique suite à la récession de 2009, pour contenir les risques systémiques.

En parallèle de cette phase d’Etat sauveur, s’est amorcé de manière un peu désordonnée dans nos différents pays et sans coordination entre nous, des éléments de l’Etat stratège.

On pourrait décliner des exemples d’ambitions limitées et désordonnées de l’Etat stratège.

Je choisis une seule dimension : la dimension industrielle.

Il s’agit bien d’un domaine ou la vision classique de la notion d’Etat, qui ne tient pas compte du nouveau paradigme de la troisième révolution industrielle de 1980, est totalement dépassée.

Il faut revoir la conception de la politique industrielle. Il s’agit de comprendre, construire et diffuser les notions de révolution numérique, de révolution industrielle nouvelle.

Nous avons en mémoire la longue période pendant laquelle les Etats avaient le monopole des relations internationales. C’est ce qu’on appelle le système « westphalien ».

Nous avons également à l’esprit la prédominance des Etats dans les politiques économiques budgétaires et monétaires à partir de Roosevelt et du keynésianisme.

Mais nous avons aussi en tête la période, qui a suivi, durant laquelle les Etats ont été de plus en plus contestés et challengés par les autres acteurs des relations internationales et de l’économie que ce soit les marchés, les entreprises ; les médias, les ONG, la société civile et même les économies illégales et mafieuses.

Les Etats ont été contestés du fait d’un désir de libéralisme et aussi d’un rejet suite à leur inefficacité ou leur entrave.

Donc en 2008, suite à la crise financière, les Etats ont été rappelés comme « pompiers », comme sauveurs d’un système occidental financier dérégulé et endetté voir en faillite.

A l’époque, certains ont parlé trop vite d’un « retour « de l’Etat.

En fait, il s’agissait essentiellement du domaine des activités économiques.

Il y a eu une intervention massive financière des Etats et des banques centrales pour sauver le système bancaire. Cela n’a pas entraîné un retour aux idées keynesiennes en général.

Même réhabilités comme « pompiers », les Etats sont toujours dans un grand désarroi et leur légitimité reste contestée.

Légitimité contestée par qui ? D’abord toujours et encore par les marchés. Certes ils ont été un peu re-régulés mais ils ont tendance à s’affranchir de cette régulation.

Et puis par un ensemble de mouvements : société civile, démocratie directe, mouvements entretenus sur et grâce aux réseaux sociaux, populisme, conception libertaire voir anarchiste, idéologie supranationale.

Depuis 2019, on trouve en parallèle et en opposition : la démocratie dite « directe » des manifestants, la démocratie participative type grand débat national et celle représentative issue des urnes lors des élections.
Une démocratie en trois scènes, qui semble plus fragmentée et conflictuelle qu’auparavant.

On constate l’apparition de forces à l’œuvre dans la démocratie dite directe contre la démocratie représentative.

La « Démocratie directe », n’a pas de sens, un bel hommage de lui donner ce nom.
La démocratie participative type grand débat national est plus intéressante et plus acceptable. Ce fut une première en France et même dans le monde. 2 millions de citoyens français se sont exprimés.

Forum Atena y a participé coordonnant quatre autres Think tanks du numérique.