Halte aux subventions, place aux commandes !
Jacques Baudron – décembre 2021
Les acteurs du numérique réclament des commandes publiques ; les politiques eux-mêmes y viennent.
Illustrons le propos avec Yann Lechelle, CEO du fournisseur de services cloud Scaleway (partenaire déçu de Gaia X) et Valérie Pecresse : « elles [les starts-up] n’ont pas besoin des subventions (…) elles ont besoin de commandes publiques et de contrats ».
Commandes publiques
Disons-le : la recette des commandes publiques a fait ses preuves. L’aéronautique, les télécommunications, le nucléaire en témoignent pour la France de la fin du siècle dernier ; aéronautique également aux États-Unis ainsi qu’informatique et recherche y font partie de la fête.
Mais avec l’arrivée de l’Union européenne le calme s’est établi en matière de commandes de ce côté-ci de l’Atlantique. La société de capital-risque Atomico évoque plus de cent milliards d’euros levés par les start-up européennes ce qui révèle la confiance des investisseurs dans le talent des acteurs de start-up. Mais pourquoi pas des commandes ?
Des fonds sont certes toujours bienvenus, mais c’est bien à la faveur des commandes que petite start-up deviendra pérenne.
Ordo-libéralisme vs commandes publiques
L’article 2 du traité sur l’Union européenne de décembre 2007 (Lisbonne) recèle un credo fondateur qui pourrait, à mon sens, être source de blocage : « L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive ».
Les mots ont un sens : l’ « économie sociale de marché » est fille de l’ordo-libéralisme cher aux allemands quant à ses vertus pour éloigner le spectre de la montée du totalitarisme suite à trop plein d’inflation.
Ordo-libéralisme ?
Tentons d’exposer le concept par un raccourci forcément réducteur : le rôle de l’État doit se limiter à assurer le respect des conditions de la concurrence. Nulle intervention d’un quelconque gouvernement ne peut se justifier, le marché est seul légitime pour réguler. Les missions de la Banque Centrale Européenne (BCE) et de la Federal Reserve Board (FED) sont à l’image de ce principe : à l’une comme à l’autre incombe la maîtrise de l’inflation, mais outre-atlantique la FED a en outre en charge le plein emploi. Côté européen dans ce même article 2, le plein emploi est implicite car la politique économique « tend au plein emploi ». La Banque Centrale est ainsi exonérée de la tâche.
Les commandes d’État ne sont guère compatibles avec des convictions aussi fortement affichées.
Small Business Act
Pragmatiquement, les États-unis ont mis en œuvre dès 1953 le Small Business Act qui réserve certains marchés aux PME même si des appels d’offres spécifiquement taillés pour les PME bafouent quelque peu l’idée d’un marché libre.
En 2008, l’Europe en propose sa copie, le Small Business Act for European SMEs mais le succès ne semble pas au rendez-vous. Est-ce « la faute à » l’Accord sur les Marchés Publics signé dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce ? Toujours est-il que la frilosité en matière de commandes publiques pour les PME reste malheureusement de mise.
Logique financière ou industrielle ?
À l’heure où les résultats financiers priment sur les performances industrielles, il n’est pas surprenant de voir un courant de pensée où la distribution de ressources financières prime sur la prise de commande.
Mais quand on voit qu’Amazon Web Service dégage plus de bénéfices que les ventes en ligne d’Amazon, on ne peut que penser que les commandes de la CIA et de la NSA constituent de sacrés bonus.
Il serait présomptueux de prétendre que les commandes publiques suffiraient à retrouver une forme d’indépendance numérique. Mais est-il sage pour autant de négliger la piste ?
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