Jean-Jacques URBAN-GALINDO  –  février 2023

Quand le mieux est l’ennemi du bien 

Cela fait quelques trimestres, sinon années, que j’ai l’impression d’assister à ce que je crois être des dérives dans la mise en œuvre des outils numériques. 

Quand je m’en suis inquiété dans le petit cercle qui m’entoure, j’ai recueilli des avis convergents. Comme il est constitué, en partie, de personnes qui ont « baigné » dans le monde de l’informatique, aujourd’hui baptisé « numérique », ils m’invitent à me jeter à l’eau. J’ai ainsi rédigé une forme de pamphlet, au risque d’apparaitre peut-être pour un affreux réactionnaire, un tenant nostalgique, un peu gâteux, du « c’était mieux avant !» 

Trois tendances me semblent constituer des voies sur lesquelles une réflexion serait, à mon avis, opportune : 

  1. La priorité souvent donnée à la forme sur le fond,
  2. Les réseaux sociaux des GAFAM qui poussent aux réactions immédiates, fondées sur le « ressenti », s’opposent aux analyses réfléchies, 
  3. La complexité excessive, pour la majorité des personnes, des outils numériques, qui ne cesse de s’aggraver.

La priorité plus souvent donnée à la forme sur le fond :

J’observe dans les revues et plus encore dans les sites internet dits  “modernes” une place prépondérante donnée aux  images, pas forcément porteuses de « sens », qui monopolisent  la surface de l’écran support de la communication. 

Les textes sont alors réduits à la portion congrue et il faut sans cesse « cliquer » pour trouver une information supposée pertinente, la « navigation » vers des éventuelles réponses aux questions que l’on se pose en est rendue moins efficace. 

Tout se passe comme si l’objectif était de nous obliger à consulter les pages que les concepteurs du site voulaient nous imposer. Un peu comme dans les supermarchés et autres magasins les efforts pour, selon les préceptes du « merchandising », organiser notre parcours et nous attirer à la découverte d’offres de produits que nous n’avions pas l’intention d’acheter.

De plus les textes sont souvent dans des polices de caractères assez petites et, comble pour moi du mépris du lecteur, avec des choix de couleurs très peu contrastée qui rendent la lecture carrément pénible. 

Ainsi des caractères d’un gris à peine soutenu sur un fond blanc, des nuances de bleu ou jaune, peut-être plaisantes au regard mais difficiles à déchiffrer. C’est comme si l’auteur n’osait pas « affirmer » ses propos, comme de simples caractères noirs sur fond blanc nous y ont habitués depuis des siècles. Cela me rend la lecture de certaines revues, pourtant destinées à un public averti, peu agréable. 

Que des illustrations puissent aider à la compréhension, que la couleur puisse agrémenter les présentations n’est pas contestable encore faut-il qu’elles ne se substituent pas au contenu du message. 

Un contre-exemple: les spécifications d’Internet avec les RFC (« Request For Comment ») toujours publiées avec un format page de « machine à écrire » des années 70  https://www.rfc-editor.org/rfc/rfc7208.html

Les écarts de mise en forme entre les formats .docx de Microsoft et .odt des logiciels « libres » illustrent cette course à la singularité. Elle complique considérablement le partage et l’interopérabilité entre outils de plusieurs éditeurs voir 

https://support.microsoft.com/fr-fr/office/diff%C3%A9rences-entre-le-format-texte-opendocument-odt-et-le-format-word-docx-d9d51a92-56d1-4794-8b68-5efb57aebfdc

Les réseaux sociaux des GAFAM qui poussent aux réactions immédiates, fondées sur le « ressenti », s’opposent aux analyses réfléchies

Il est désormais établi que les algorithmes de sélection des informations qui nous sont présentées par les réseaux sociaux des GAFAM cherchent à capter notre attention et nous rendre dépendants de leur environnement afin, le plus souvent, nous cibler et « vendre » des campagnes de publicité plus « efficaces » pour leurs auteurs. 

Fondés sur les mécanismes « primaires » de notre cerveau reptilien ils stimulent la production de dopamine obtenue par la satisfaction immédiate d’un besoin. Dans leurs cas ils poussent à la réaction immédiate, réflexe, ce qui ne facilite pas la réflexion, la recherche -difficile- de synthèses, l’extraction de la “substantifique moelle”. 

Les enchainements de réactions épidémiques, d’affrontements entre tenants de positions souvent dogmatique sont légion, même sur le réseau Linkedin, soi-disant plus « professionnel ». Les débats “sérieux”, fondés sur des argumentaires scientifiques, sont rarissimes, les propos qui poussent à l’affrontement favorisés. 

L’effet « boule de neige » de la propagation plus rapide des propos « agressifs » a un effet amplificateur néfaste, jusqu’à la haine. La « modération » est assez défaillante, j’ai l’impression qu’en fait, malgré certaines déclarations d’intention, elle n’est pas recherchée. J’avais suggéré une approche « basique » 

https://forumatena.org/ne-pourrait-on-simplement-maitriser-les-propos-haineux-sur-les-reseaux-sociaux/

La complexité excessive, pour la majorité des personnes, des outils numériques, qui ne cesse de s’aggraver.

Les inventions géniales au centre de recherche Xerox Palo Alto Research Center, dans les années 70, du multi fenêtrage et de la souris par Douglas Engelbart ont permis l’avènement des ordinateurs personnels et leur développement massif à partir des années 80, les outils de « bureautique » mis à la portée de tout un chacun ont pris une place centrale dans nos vies.

Puis le réseau internet et la capacité à atteindre des textes et des contenus audio visuels partout dans le monde avec un « simple » navigateur et d’interagir a ouvert l’espace numérique transfrontières.

L’invention par le français Jean-Marie Hullot du Smartphone avec son interface originale a mis le numérique comme un prolongement de nos corps, à notre disposition presque partout où nous allons.

Des développements n’ont cessé d’être ajoutés aux outils permettant ces véritables révolutions. Ils ajoutent à la complexité de leurs modes d’emploi et je m’interroge sur leur utilité réelle pour la très grande majorité des utilisateurs. 

Ainsi les fonctions « basiques » de Windows ou de Word sont-elles souvent enfouies, masquées par des multitudes de possibilités utiles aux seuls spécialistes. Interrogeons nous sur les “apports” parfois marginaux, superficiels, en fait souvent néfastes.

En forme de provocation j’affirme que les fonctions qui étaient disponibles dans Windows XP et Word II seraient suffisantes pour 99,9 % des utilisateurs du numérique.

De quoi faciliter l’adoption des alternatives des « logiciels libres »

N’est-il pas opportun de revenir aux fondamentaux, de consolider la robustesse et la résilience des applications face aux attaques de la cyber-malveillance ?

“La simplicité est le stade ultime de la sophistication”
Léonard de Vinci

“La perfection n’est pas atteinte quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à enlever”
Antoine de St Exupéry