Bernard Biedermann  –  mars 2021

Normalement, lorsque la crise sanitaire sera résolue, l’économie française devrait retrouver le niveau qu’elle avait avant 2019, probablement en même temps que la campagne présidentielle. Comme toujours, le contenu de cette future campagne s’inspirera de l’actualité. Seront débattus :
– Le bilan de la gestion de la Covid-19 en termes d’efficacité administrative, de communication, et d’impacts économiques, en comparaison avec d’autres pays, ainsi que la dépendance internationale de l’offre de médicaments ;
– La sécurité dans nos villes, les frontières, le séparatisme, le niveau de vie, le réchauffement climatique, les injustices dans la justice, la proportionnelle, etc. ;
– Avec les réseaux sociaux, on peut s’attendre à des débats violents qui vont occulter d’autres sujets d’importance, ceux qui ne passionnent pas les foules, et qui concernent l’économie française dont on ne peut vraiment pas dire qu’elle était en bonne situation avant la crise sanitaire.

Il convient alors de faire un constat sur la base de quelques critères comparatifs au niveau européen :

– Chômage : avec 9,1 % de taux de chômage, la France se classe 25-ème rang sur 28 pays de la zone euro (INSEE) ;
– Croissance : La croissance en volume du PIB français de 2004 à 2016 est classée 24-ème sur 28 de l’UE devant l’Espagne, la Grèce, le Portugal et l’Italie (OFCE) ;
– Désindustrialisation : le « secteur industriel ne concourt plus que pour 10% seulement à la formation du PIB, alors qu’en Allemagne il représente 23%, la moyenne des pays de l’OCDE se situant à 20,0% » (Claude Sicard) ;
– Commerce extérieur : En 2018, le rapport balance commerciale totale sur PIB, classe la France au 13-ème rang sur 18 pays de la zone euro sans Malte (Eurostat) ;
– Poids de l’état : en 2019 les dépenses publiques par rapport au PIB sont de 55,6% par rapport à la moyenne européenne de 47% en zone Euro (FIPECO) ;
– Niveau de vie : de 2000 à 2017, le taux de croissance du niveau de vie français a été de 6,5%, classant la France au 14-ème rang sur 17 pays zone euro (stats de l’Observatoire des inégalités).

Pour l’essentiel ces mauvais résultats ne relèvent pas du court terme. Ils s’expliquent par des erreurs de politiques économiques faites depuis plusieurs décennies. Citons par exemple dans les années 70, une croyance exagérée dans l’économie des services avec la fin des cols bleus et l’expansion des cols blancs. Dans les années 80 un étatisme alourdi, puis une mauvaise adaptation à la nouvelle économie mondiale. Les conditions dans lesquelles ces tendances néfastes se sont ancrées relevaient souvent de la démagogie politicienne. Et de plus, aucun gouvernement n’a voulu corriger les erreurs de ses prédécesseurs.

Dans ces conditions, le prochain président ou présidente de la république, au moment de sa prise de fonctions sera bien obligé(e) d’oublier les débats de la campagne et d’atterrir sur la piste des réalités économiques.

L’édition d’un programme économique d’une grande importance s’impose. Par définition un programme économique a pour mission « l’équilibre du système économique », ce qui se traduit par un objectif de plein emploi avec une inflation supportable. En 2022, de tels objectifs ne relèveront pas d’un simple « plan de relance » mais bien d’un programme structurel de long terme.

On pourrait imaginer deux grands axes :

– Une profonde réforme de nos administrations
– Une mise à niveau des conditions de fonctionnement des entreprises privées

La diminution du poids de l’état, en tant qu’elle favoriserait des embauches dans le secteur privé, pourra se faire par une profonde réforme : moins de silos, moins de couches hiérarchiques et une culture de management pragmatique orientée vers plus de responsabilités décentralisées. Une telle réorganisation pourra se faire en partie grâce aux nombreuses solutions du numérique. Le numérique étant l’occasion de reconstruire l’existant en faisant des gains de productivité (estimés sur la durée à 15 %) et en améliorant les prestations vers les citoyens avec notamment moins de dysfonctionnements.

Par exemple, dans la santé, la numérisation permettrait un processus avec zéro papier, de la consultation chez le médecin jusqu’au remboursement comme cela se fait en Estonie. Dans l’éducation nationale, il conviendrait de réfléchir à de meilleures anticipations des demandes sur le marché du travail, ce qui se traduirait par de nouvelles orientations, dans la recherche, dans le supérieur, dans la formation professionnelle et artisanale, quel qu’en soit le contenu, l’âge et les formations initiales des destinataires. On cite par exemple une start-up spécialisée dans la formation en informatique de candidats issus de formations littéraires. L’ENA n’est peut-être plus la référence de la réussite professionnelle.

Une approche beaucoup plus pragmatique s’impose dans toutes les administrations. Par exemple, le traitement de la grande pauvreté n’est pas uniquement une question de sommes monétaires versées mais aussi de prestations sociales individualisées qui relèvent de plusieurs domaines : santé, psychologie, droit, relations avec les banques et les administrations…

Notre système économique mondialisé étant de plus en plus complexe, innovant et source de surprises, les prévisions à long terme sont de plus en plus difficiles à produire. Pour ce qui concerne les secteurs stratégiques comme l’énergie, des prévisions à 30 ans sont fonction de la démographie, de la production de la nouvelle industrie, des nouvelles techniques de transports, et des impacts des choix politiques dans le domaine de l’environnement. Si par exemple le taux de croissance annuel de la consommation macro-économique d’énergie était de 1,3 % par an, en 2050, la production d’énergie par nucléaire devrait être de 692 terawattheures, alors qu’elle est actuellement de 470 terawattheures. De plus, de telles hypothèses doivent être retenues dans un contexte où l’uranium est produit en très grande majorité dans plusieurs pays non européens : 95 % de la production mondiale est faite hors d’Europe (Australie, Canada, Afrique, Russie…), d’où la question du risque de dépendance, dans l’hypothèse d’une forte croissance du nucléaire au niveau mondial en termes de production et de prix.

Le retour à l’équilibre sur le marché des entreprises privées est conditionné par un grand nombre de variables. Le développement des projets innovants dans la nouvelle industrie ne pourra se réaliser en France qu’avec des ressources humaines qui répondent à la demande et, dans un contexte de mondialisation, avec des niveaux de taxes et d’impôts comparables à ceux des pays européens qui exportent avec succès. Normes et code du travail devront être simplifiés, avec pour objectif de ne pas être plus contraignants que ceux de nos concurrents européens.

Bien que peu précises en termes de chiffres, ces suggestions posent bien évidement la question de l’équilibre du budget. Se cumulent, des investissements d’état, des recherches, des baisses de rentrées fiscales sous la contrainte d’un niveau de dette élevé surveillé par l’Europe. Certes, une nouvelle croissance se traduira par moins de chômage et donc moins de dépenses d’état, mais le problème sera celui de la répartition dans le temps et du choix du type de politique : homéopathie, médecine, chirurgie ?

Rien n’est simple et particulièrement la nécessité de convaincre les Français. Pour parler simplement ce n’est pas facile à vendre pour plusieurs raisons :

– Il s’agit de politique de long terme, au moins un quinquennat, et donc il y aura une impatience avant les résultats ;
– une telle politique s’accompagne dans un premier temps d’efforts pour beaucoup de français ;
– les responsables craignent les conflits et les manifestations dans la rue ;
– l’opinion publique doute des affirmations « scientifiques » et des prévisions ;
– l’équilibre entre les doctrines écologistes et des textes réalistes.

Parce que nous vivons dans un monde complexe, mondialisé, numérisé, plein de surprises, où les décisions doivent se prendre rapidement, le poids de l’incertitude est considérable. Il convient alors de faire des efforts d’anticipation plutôt que des extrapolations à partir du passé. Nous ne sommes plus à l’époque de Ricardo où les échanges entre le Portugal et l’Angleterre (vins et tissus) n’auraient pas eu d’impact trop grave en cas d’arrêt brutal. Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la dépendance médicale, énergétique, etc. Une attitude pragmatique s’impose ! Plutôt que de citer comme référence certains pays, il vaudrait mieux copier leurs méthodes et leur culture de gouvernance qui ont conduit à des réussites. Pour convaincre, il conviendra de ne pas confondre les objectifs avec les moyens de les atteindre. Par exemple, on ne diminuera pas le nombre de postes dans nos administrations pour le plaisir, mais pour favoriser le retour vers l’emploi en diminuant le poids de l’état et donc des dépenses sociales moins nécessaires. Have a dream.

Bernard Biedermann  –  mars 2021