Romain Sohet – février 2025 – Contact Forum ATENA auprès du Parlement Européen
Chers amis,
Ce que nous appelons « l’Informatique » est un secteur transverse, technologique, récent dans l’histoire de l’industrie et de l’économie, et fruit du génie humain.
L’Informatique, c’est un papier et un stylo que nous avons automatisé pour gagner en productivité et en fiabilité. De grandes œuvres furent réalisées sans Informatique, mais toutes le furent avec papier, stylo, travail, génie et organisation. Nous pourrions même dire que la Révolution industrielle qui a permis à l’Europe de briller dans le monde entier, a été possible sans l’Informatique mais que l’Informatique en fut le fruit.
Et peut-être est-ce là le problème : l’Informatique est devenue l’enfant turbulent, irrespectueux et dispendieux du couple Génie humain et Industrie, sous le regard baderne du parrain Automatisation, mais sévère et austère de la marraine Finances.
Pourquoi l’Informatique est-elle maintenant un enfant irrespectueux ? Voire même, le loubard de la famille, selon le policier Cybersécurité (celui qui a pris la place d’Espionnage, parti à la retraite précipitamment) ?
A cause d’une faiblesse dans l’autorité parentale. Et cette faiblesse vient de l’ignorance, mais aussi de la paresse.
Ainsi, Informatique change de nom tous les quinze ans. Elle fait ses crises d’ado. Maintenant, on l’appelle IA (Intelligence Artificielle), comme dans le film de Spielberg datant de 2001 qui a inventé le concept d’IA, mais aussi de réchauffement climatique (*). Il y a quinze ans, elle s’appelait Cloud. Il y a trente ans, elle s’appelait Bug-de-l’an-2000 (et c’était une maladie contagieuse). Au berceau, elle s’appelait Mécanographie. Mais in fine, c’est toujours la même : elle reçoit des ordres d’humains qu’elle exécute plus ou moins bien, mais on la trouve de plus en plus capricieuse et boudeuse.
En fait … Informatique continue ses crises d’adolescence mais c’est dorénavant une vielle peau à moitié amnésique et totalement arthritique.
Vous voulez une preuve d’amnésie ? En 1998, j’avais la chance de travailler sur un logiciel de gestion des stocks et de facturation commerciale qui s’appelait SAARI. Une fois par an, monsieur SAARI venait bricoler l’AS400 et le travail continuait. En 2015, une célèbre entreprise de vente par correspondance (pardon, de e-commerce) spécialisée dans la puériculture a mis la clé sous la porte car elle s’est ruinée à entretenir 40 informaticiens qui n’ont pas été fichu de créer une application ressemblant furieusement à SAARI. C’est donc une régression. L’Informatique, d’outil précieux, facile et utile, est devenue un gouffre financier, une obsession managériale et un nid à dépressions professionnelles (pardon, à burn-out).
Une autre preuve d’amnésie ? ChatGPT s’appelait précédemment « générateur automatique de textes » (GAT) ou IA qui s’amuse à peindre des tableaux auparavant pondus par Photoshop, une vieille gloire qui nous faisait bien rigoler quand on était jeune.
Mais Informatique n’est qu’un outil. C’est un papier et un stylo automatisé. Le véritable amnésique, c’est l’utilisateur, le DSI, le financier.
Dans ce monde de mémoire vive ou morte, de stockage de teradonnées (au moins), d’empilement de data et de métadonnées, il n’y a rien de plus amnésique que son utilisateur. Utilisateur qui a une capacité touchante à redécouvrir la lune tous les quatre matins.
Pourquoi une telle amnésie technique, technologique, procédurale, logicielle, intellectuelle … chez l’utilisateur ?
D’abord, parce qu’Informatique est sensible à la mode. Elle est snob. Dès qu’il y a un truc nouveau, c’est pour elle. Même si c’est du recyclage de vieilleries. Il suffit de changer le nom de la vieillerie. Vous vous souvenez lorsque Microsoft demandait aux utilisateurs de PC d’allouer un peu de mémoire pour la communauté ? Maintenant, ça s’appelle le réseau TOR.
Ensuite, parce qu’Informatique fait plein de bêtises et c’est à l’utilisateur de réparer. Vous vous souvenez de « l’expérience utilisateur » ? Des logiciels (payants) mis sur le marché et c’est l’utilisateur qui les déboggait et remontait l’information à l’éditeur ? Lequel faisait une version 2 (payante) qui fallait débogguer ? Amusant. Amusant mais contre-productif. Et ça va à l’encontre des bonnes pratiques de l’Informatique sérieuse, celle du cahier des charges, des tests unitaires, des tests fonctionnels, des tests de charges et de présentation d’un produit fini. On aurait dû faire pareil avec la tour Eiffel ou le Viaduc de Millau, afin de voir combien de versions se seraient effondrées sous le poids de « l’expérience utilisateur ». Ce concept d’expérience utilisateur est par essence pervers : il démontre premièrement que le logiciel mis sur le marché n’est jamais fini et efficient (et cela rentre dans la tête des utilisateurs) et deuxièmement … que c’est normal que ce soit ainsi. La régression est rentrée dans les mœurs.
Enfin, Informatique n’aime pas travailler
Elle préfère discuter, babiller, et se fâcher. Ça lui donne l’impression d’exister. Avant, on disait « c’est de la faute de l’ordinateur » quand on n’arrivait pas à travailler. Maintenant, c’est « de la faute de l’éditeur », ou encore « on s’est fait hacker », voire « on a un déni de service » (ça, c’était vers 2010), mais le plus marrant reste « on ne peut pas, le bon de commande n’est pas signé » ou pire encore « on n’arrive pas à joindre notre partenaire Cloud ». Ne riez pas, là est le fond du problème. Vous avez Informatique, la vraie, qui fait tourner des usines et à laquelle personne ne veut toucher (je connais une usine automobile dont l’approvisionnement en pièces consommables se fait via le calcul de l’inverse d’une valeur en langage Assembleur par rapport à la position des piliers de l’usine. Résultat : impossible de déménager l’usine) et l’informatique, la fausse, qui consiste à vendre des applications avec trois requêtes SQL, un algorithme, peut-être une géolocalisation, mais surtout beaucoup de certificats, de temps perdu, de réunions de service dans un environnement Agile, d’avenants, de prestataires et de comptes-rendus. Car l’ingénieur informaticien produit des comptes-rendus à défaut d’autre chose. Mais la marraine Finances a un budget pour cela.
Vous avez une dichotomie intéressante : d’un côté l’Informatique au service de la production, de l’autre la production au service de l’Informatique.
Mais ne nous voilons pas la face, Informatique devient de plus en plus un poids mort en entreprise, et c’est pourquoi on cherche à la refiler à un « tiers de confiance », dont on ne sait si c’est un EHPAD, une léproserie, un escroc ou un orphelinat. Tout ça parce qu’Informatique avait un chouette parrain joueur, Automatisation, mais une marraine austère et bornée, Finances, qui a tout fait pour sortir Informatique de là où elle doit être (Investissement et Amortissement) vers un mouroir qui s’appelle Centre de coûts. Car Informatique coûte, dit-on. Comme un petit vieux.
A quoi cela est dû ? A l’ignorance des parents.
A quoi est due cette ignorance ?
Au fait que le secteur de la formation informatique a littéralement raté le coche en ne structurant pas la formation de l’ingénieur informaticien.
Reprenons notre Révolution industrielle. Elle a réussi car elle était financée, évidemment, car elle était transcendante (elle touchait toutes les couches de la société), car elle était émancipatrice (quelque soit l’extraction sociale de l’individu, il avait accès à de la formation puis au titre d’ingénieur), car elle a inventé la rigueur procédurale justement avec les écoles d’Ingénieur appuyées sur l’apprentissage et le Compagnonnage. Compagnonnage qui existe depuis des siècles.
L’Informatique, non. Elle est passée brusquement d’outil transverse sous-produit de l’Automatisation industrielle à Centre de coûts qu’il faut optimiser. L’Informatique est un secteur qui a souffert d’un déficit d’image, on n’arrivait pas à la trouver belle, alors on la trouve inutile. C’est pourquoi elle est devenue snob et elle se travestit souvent. Combien de fois entend-on « l’application n’est pas sexy » ? Je crois qu’on n’a jamais dit ça pour une perceuse ou une batterie d’automates de câblage.
En fait, ce secteur de l’informatique a raté l’étape du Compagnonnage.
Un Compagnon du Devoir apprend la charpente, l’électricité, l’automatisme, la peinture, la plomberie, la tapisserie … tout en se frottant aux Compagnons d’autres métiers, afin de trouver le sens commun à l’œuvre. Mais il n’existe pas de Compagnon du Devoir en Informatique. Un Compagnon qui sait comment fonctionne une base de données, des serveurs, des routeurs, les langages, les compilateurs, les IHM … et surtout à quoi ça sert, et pour qui. Et pourtant, un consultant en informatique quelconque (comme moi, ou mes collègues) a reçu une éducation de Compagnon, en changeant de mission, d’environnement, d’encadrement, de structure, de logiciel, de technologie … tous les ans, permettant ainsi d’acquérir la même agilité d’esprit que celle d’un maroquinier ou d’un couvreur. Prenez un célèbre fabricant d’avions ou de voitures, vous y trouverez des Compagnons partout. Sauf à l’Informatique. Sauf à l’outil transverse. Partant de là, on ne peut plus se comprendre et l’Informatique ne peut plus parler le même langage que ses collègues. Pourquoi en France on a eu des difficultés monstres à trouver des MOA (Maîtrise d’Ouvrage) valables ? Parce qu’on n’a pas su les former et on n’a pas voulu comprendre qu’un Informaticien, oui, peut être poreux aux techniques procédurales et intellectuelles d’un secteur fonctionnel ou opérationnel. Partant de là, si on ne peut pas avoir d’interlocuteurs intelligents, si on perd la mémoire du secteur dans lequel on travaille, on devient fragile, paumés, et à la merci du premier marchand de soupe venu.
Un exemple ?
On va parler de la protection des données. Un informaticien vous dira qu’une donnée doit être dans une base de données (sic) et qu’on peut l’extraire via une requête faite par quelqu’un qui a les autorisations ad hoc. Pour protéger la donnée, on a donc créé un silo.
Et maintenant, il faudrait « désiloter » (concept à la mode). Donc la base de données étant ouverte, la donnée n’est plus protégée. Alors comment protéger quand on désilote ? Désiloter ou déculotter, c’est pareil. Et pourtant, j’ai encore eu droit récemment à des DSI et à des RSSI préoccupés par la protection des données (sinon on se fait taper dessus par la RGPD) et qui d’un autre côté, veulent désiloter par simple dogmatisme ou ignorance. En espérant que ce ne soit pas par intérêt personnel.
Jamais quelqu’un qui aura eu une éducation rigoureuse, technique et fonctionnelle en informatique ne vous parlera de « désilotage ». Par contre, il vous parlera « d’autorisation d’accès ». Accès en « vue », « sélection » ou « édition ». Avec création d’une clé primaire commune si besoin. C’est un vrai métier, il y a des procédures et des techniques pour cela.
Et comme c’est un vrai métier, il y a donc une dignité intrinsèque au métier d’informaticien
Mais pour bien appréhender celui-ci, il faut avant tout apprendre à sortir de la pensée magique comme quoi l’IA serait capable de tout faire et accepter que comme tout bon outil, l’Informatique ne sert que les intérêts de celui qui la manipule. Et la base de la manipulation, c’est l’ignorance.
Lien vers le film de Spielberg :
https://fr.wikipedia.org/wiki/A.I._Intelligence_artificielle
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