Bernard Biedermann  –  décembre 2022            

 

Dans cet article je propose de faire une comparaison simple entre l’entreprise du siècle dernier et l’entreprise actuelle, celle qui doit s’adapter aux nouvelles conditions de son environnement. Cette comparaison concerne toutes les fonctions de l’entreprise, se traduit par une nouvelle culture de management et devrait conduire nos dirigeants à une meilleure connaissance de la vie de l’entreprise.                                                                                                                  

                                                                     

                                  La nouvelle entreprise

Depuis le milieu du siècle dernier, plusieurs tendances historiques ont profondément modifié la vie de l’entreprise :  Trente glorieuses, mai 68, ralentissements du nombre de conflits guerriers, fin de l’URSS, accélération du progrès technique, le  numérique, l’internet, la stabilité politique et économique en Asie, le développement du commerce international et des délocalisations industrielles, la prise de conscience du dérèglement climatique, le démarrage de la croissance en Afrique en Inde  et en Chine, et bien d’autres encore ….  Ces tendances se sont traduites par de nouvelles évolutions dans toutes les fonctions de l’entreprise. En 2022, avec une nouvelle situation mondiale, on est conduit à revoir nos anticipations et le contexte du vécu de l’entreprise. Cet article ne prétend pas être complet mais suggère de réfléchir et de revoir notre vision de l’entreprise.  

                                                 L’entreprise d’autrefois

L’entreprise était perçue comme une boîte noire dont l’activité essentielle consistait à transformer des flux d’entrées (matières premières, service, etc.) en flux de sortie (produits finis, déchets, etc.), selon une relation technique, appelé la fonction de production, avec comme seul objectif, la maximisation du profit. Dans la conception néoclassique, l’entrepreneur traite, ou choisit de ne pas traiter tous les détails de son entreprise surtout s’ils sont trop complexes. L’entrepreneur était souvent propriétaire avec des coûts implicites n’ayant pas fait l’objet de contrat. Les conceptions de l’entreprise se fondaient sur l’hypothèse de rationalité, en matière de choix, concernant la disponibilité des informations et le temps nécessaire. F. Knight distinguait déjà l’incertitude mesurable de celle qui ne l’est pas. Alors pour M. Friedman la logique de maximisation du profit est liée à la capacité de faire des prévisions. Il y a l’alternative, des managers qui contrôlent tout, ou celle où ils sont sous contrôle d’un groupe d’actionnaires. W.J. Baumol constate que les objectifs des managers s’appliquent plus au niveau des ventes, qu’aux pourcentages des profits. Ces décisions se réalisent dans des structures hiérarchiques linéaires ou fonctionnelles voire multidivisionnelle qui séparent les décisions opérationnelles des décisions stratégiques. Avec le temps l’entreprise a été assimilée à un système ouvert qui, entre autres, définissait la frontière entre l’organisation interne et son environnement. Depuis plusieurs décennies, les chercheurs en sciences de gestion produisent des quantités considérables d’analyses et de recommandations qui conduisent à plus de modestie pour bien comprendre le monde de l’entreprise surtout lorsqu’il s’agit de faire des réformes politiques.   

                                                              La nouvelle entreprise 

Les comportements et les conceptions de l’entreprise d’autrefois ont bien sûr évolué depuis plusieurs décennies.  Les comportements fondamentaux existent toujours mais sont parfois relégués en second plan. Du fait que les nouvelles conditions appartiennent à plusieurs domaines très différents et que chaque entreprise se caractérise par la spécificité de son secteur d’activité, le changement s’effectue sur une longue période. L’objectif dépend également de la taille de l’entreprise, de son ouverture à l’international et du niveau de développement de l’économie dans laquelle elle se situe. Qu’il s’agisse du capital, du travail, de l’environnement de l’entreprise, et de la culture de management, les obligations de changer s’accompagnent d’un niveau d’incertitude particulièrement élevé en ce moment.

                                                         Le facteur capital 

Depuis plus d’une décennie, le facteur capital, que l’on appelait autrefois les machines, se robotise et se développe particulièrement dans l’industrie, la médecine, l’aérospatial, la défense militaire, les laboratoires scientifiques et la sécurité. L’utilisation de robots nécessite des contrats d’installation, de formation, de maintenance, de supervision qui sont souvent complexes à mettre en œuvre. Cette intrication constitue une dépendance entre l’unité de production et les prestataires de ces services. Ce constat peut être difficile à accepter par l’entrepreneur mais, en revanche il appréciera les avantages des robots lorsque les équipes, dans un temps réduit, programment une fabrication de nouveaux produits, tout en gardant les mêmes équipements. Autrefois, la plupart des machines étaient « dédiées » au produit qu’elles fabriquaient. On pourrait en conclure que la robotique et le numérique confère au capital un nouvel avantage, celui de la liberté de s’adapter à la production.              

                                                                        Le facteur travail

Les nouvelles méthodes de production se traduisent par l’emploi de personnels spécialisés, diplômés et bien profilés. Les conditions de travail dans un atelier robotisé n’ont rien à voir avec celles de l’ouvrier d’autrefois sous contraintes physiques, de bruit, et de saleté. Certes le robot nécessite de temps en temps des réglages sur place, mais le suivi permanent s’effectue à partir d’un ordinateur dans un autre local. Dans une étude, des jeunes lycéennes reconnaissaient qu’elles pourraient très bien travailler dans un atelier de robots. Mais, la nouvelle vision du travail des jeunes générations intègre des exigences qualitatives et le fait que dans leur vie professionnelle, il devra y avoir plusieurs changements d’orientation. Ce qui est positif pour une meilleure adaptation mais, peut être mal perçu par l’employeur qui souhaite un haut niveau de productivité liée à l’ancienneté. Par ailleurs, dans le choix de leur futur employeur, beaucoup de jeunes exigent un sens, civique, écologique, sociétal et d’équilibre personnel, … Par ailleurs, beaucoup de jeunes créateurs de start-up envisagent dès le début la vente de leur entreprise.                                                                 

                                                         Les autres fonctions 

Bien entendu, les autres fonctions de l’entreprises elles aussi, ont connu d’importantes évolutions ; Qu’il s’agisse de la logistique, du commercial, de l’administratif, de la finance, de la Direction des Ressources Humaines et du marketing qui se fixe comme objectif de maîtriser le marché… Ceci, en raison de la complexité croissante, de la mondialisation et de la fréquence des changements et de l’informatisation globale. 

                                                 L’environnement de l’entreprise

L’environnement de l’entreprise, c’est-à-dire tout ce qui peut gêner ou aider la stratégie de l’entreprise dans toutes ses fonctions n’a cessé d’évoluer. Droit du travail, fiscalité, normes, règles techniques d’hygiène et de sécurité, RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et plus récemment, cybersécurité, espionnage international, et bien sûr la RGPD (Règlementation Générale sur la Protection des Données) que beaucoup d’entreprises n’ont pas encore intégrée. Même si certaines de ces contraintes peuvent contribuer à une meilleure image de l’entreprise avec influence favorable sur le Chiffre d’Affaires, il y a une nécessité de nouvelles compétences et du temps pour la découverte et les applications et donc un impact sur les coûts. Avec la Covid et la guerre en Ukraine, la conscience du niveau de risque lié aux transactions internationales (dépendances, ruptures logistiques, chute de marchés, …) est redevenue une préoccupation du quotidien et de la stratégie de long terme. L’hypothèse de relocalisation d’unités de production est envisagée, mais la nouvelle industrie fabriquera des produits nouveaux dans pratiquement tous les secteurs. Malheureusement, le scénario de relocalisation d’industrie risque de subir un délai très long car il sera nécessaire de réformer considérablement le marché de l’emploi sur lequel même actuellement plus de la moitié des entreprises n’arrivent pas à recruter.   

                                          Une nouvelle culture de management     

Cette simple description des nouvelles contraintes explique les raisons pour lesquelles une révision complète de la culture de management s’impose. Le marché des consultants en management s’est considérablement développé. Leurs formations suggèrent des nouveaux comportements, des nouvelles attitudes, des plans d’actions qui remettent en cause les anciennes convictions de l’entrepreneur. Ces formations s’inscrivent dans des nouvelles cultures de management basées sur, des nouvelles organisations hiérarchiques, des nouvelles manières d’inciter l’action, des nouveaux objectifs inter-fonctions avec notamment la nécessité d’apprendre à être pédagogue pour expliquer les choses dont on est spécialiste dans le cadre de prises de décisions sans perte de temps. Dans de telles conditions, de prises de décisions complexes et rapides, l’entrepreneur est devenu un existentialiste libre mais soumis à l’obligation de décider. (Nous contacter pour obtenir les slides de la présentation du mouvement des entreprises de France : Les enjeux du manager d’aujourd’hui, entre régulation des attentes individuelles et maintien d’un collectif au travail)

                                  Au niveau politique économique

La généralisation des nouveaux profils d’entreprises devrait suggérer des nouvelles politiques économiques notamment par une meilleure compréhension des fonctionnements de l’entreprise. Il faudrait se contraindre à plus de simplicité, à des engagements sur la durée, à plus de spécificités sectorielles (niveau du coût de l’énergie dans les achats), à des réorientations dans l’éducation nationale et la formation, …La question de l’alternative entre le marché libre et la régularisation va redevenir d’actualité. En France, la décision de blocage des prix de l’énergie pour les particuliers et les PME, ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) et professions libérales a été plutôt positive. En revanche, les nouvelles règlementations thermiques concernant l’immobilier risquent fortement de ne pas pouvoir être appliquées aux dates imposées, compte tenu de la taille du parc à adapter (environ 5 millions de logements) et des disponibilités de prestations et de logistique dans le Bâtiment et Travaux Publics. La perspective en 2023 d’une récession souhaitée ou non par les banques centrales ne va pas faciliter les prochaines prises de décisions politiques. 

Les suggestions de cet article ne sont sûrement pas exhaustives mais pourrais néanmoins nous conduire à revoir de manière plus précise les conditions de la vie de l’entreprise qui ont énormément changé.  

N’hésitez pas à indiquer dans vos remarques ce qui nécessiterait une explication plus complète