Geneviève BOUCHÉ  –  Vice Présidente Forum ATENA  –  février 2025

Monsieur Trump a repris le pouvoir aux USA avec une composante nouvelle : l’allégeance des géants du numérique avec, comme tête de pont, Monsieur Musk.

Terrifiant en première analyse, mais une belle opportunité en réalité pour l’Europe.

Mais elle doit s’organiser pour saisir sa chance.

Le monde promis de Monsieur Trump

Des personnages richissimes pavoisaient autour de lui à son investiture. Des personnages qui croient dur comme fer à la « loi du plus fort ». Les Américains des USA aiment ça.

Et, tant qu’à annoncer sa puissance, il crée sa monnaie ! Une monnaie numérique évidemment.

Sur un plan anthropologique, ce projet de monnaie ressemble à un chant du cygne.

La monnaie est l’instrument qui permet aux Hommes de faire des échanges. Une monnaie se caractérise par sa gouvernance et cette gouvernance reflète les priorités du modèle de prospérité accepté par la communauté.

Monsieur Trump ne cherche pas à ce que nous adoptions son modèle de société. Il veut que nous nous y soumettions.

En sous-main, de ce projet, il y a Monsieur Musk qui estime que l’Homme a fini de conquérir la planète et presque fini de l’exploiter. Il doit donc aller à la conquête de l’univers pour essaimer de nouvelles planètes.

Cela va coûter très cher et seuls les plus résistants en bénéficieront.

  • Pas de problème pour le financement : le reste du monde va acheter au prix fort le droit de faire commerce avec les USA (essentiellement via le numérique) … et ce commerce sera fait avec la monnaie de Monsieur Trump.
  • Quant aux plus faibles (les migrants), ils vont « rentrer chez eux » puisque les robots vont les remplacer. Les postes laissés néanmoins vacants vont être imposés à ceux de la classe moyenne qui sont descendus plus bas.

Un modèle de société fragile

Certes, les clefs des USA remises entre les mains de Monsieur Trump affichent un taux de chômage enviable et des indicateurs économiques affriolants. Par ailleurs, les avantages accordés aux entrepreneurs donnent un coup de boost aux citoyens incrédules. Les anti-Trumps reconnaissent que sa manière brutale de poser les problèmes a un effet positif de déblocage des questions étouffées. Tout ceci fabrique de l’enthousiasme.

Mais, vu de plus près, il y a néanmoins une société fracturée qui se lamente.

Cette semaine au pied de l’Empire State Bulding, de paisibles citoyens manifestaient au motif que la classe moyenne se meurt.

La recherche effrénée du rendement financier détruit effectivement leurs jobs. Les infrastructures fatiguées rendent le quotidien compliqué et le coût de la vie exclut les travailleurs sans protection.

Pendant ce temps-là, en Europe…

Les élus encore en place ont été adoubés par « l’Empire Américain » à qui ils ont choisi de faire allégeance, avec l’idée de faire en sorte que nous ne soyons pas trop étrillés par le dominant.

Mais ces élus sont de plus en plus contestés car leurs électeurs pensent à contre-courant de leurs dogmes. Les thèmes sont nombreux. En voici quelques-uns :

  • Les générations montantes veulent dépasser le consumérisme. Elles s’emploient à rationaliser la manière de produire et de consommer. Le système économique et social en vigueur s’en trouve détraqué, ce qui ne cesse de provoquer des crises,
  • Leurs aînés savent que coloniser les pays des autres finit par apporter plus de problèmes que de solutions. Ils préfèrent des stratégies plus durables, basées sur la réciprocité, ce qui les fait passer pour des wokistes face aux dictateurs qui donnent l’impression de mener le monde actuellement.
  • L’idée de dompter la nature devient obsolète. Mieux vaut composer avec elle. Mais, même si cela s’avère plus compliqué à mettre en place dans une période transitoire, au final, les bénéfices sont plus nombreux qu’attendus.
  • Tous souhaitent quitter le mode hiérarchique au profit des organisations en rhizome, car, dans un monde complexe et rapide, la meilleure façon d’avancer consiste à faire coopérer des experts, des créatifs et des managers.
  • En conjuguant leurs potentiels, les citoyens se sentent l’envie de créer un numérique conforme à l’idée qu’ils se font des relations entre eux et vis-à-vis de la communauté : être efficace, respectueux et constructif.
  • La moindre forme de talent constitue une richesse potentielle, si la communauté lui donne la possibilité de s’exprimer ce qui inspire les modèles « inclusifs ».

Il en ressort que le patrimoine humain devient un bien à protéger, au même titre que nos territoires et nos valeurs. La guerre des talents a déjà commencé à travers les zones géopolitiques.

S’en protéger fait émerger un modèle de société assez nouveau qui est aux antipodes de celui de Monsieur Trump et ceux de ses homologues chinois et russe.

Mais, dans tous les cas de figure, le numérique y est aussi important.

Trois variantes de société numérisée

Ce n’est pas le numérique qui change nos vies, c’est parce que nous allons vers une civilisation complexe que nous en avons besoin.

Les citoyens doivent choisir leur modèle :

  1. Celui qui repose sur le principe de « code is law », où tout est géré en numérique. Ce sont donc les détenteurs des systèmes qui font la loi,
  2. Celui qui surveille, puni et récompense… Et finalement infantilise ses concitoyens,
  3. Celui qui joue le local et la transparence. Les décisions sont prises localement et agrégées de proche en proche au plus haut niveau. Les systèmes sont locaux, les données aussi. Mais ces systèmes se doivent d’être scalables et interopérables. Le modèle estonien X-Road en est une prémisse qui fonctionne avec succès depuis plus de 15 ans.

Alors, un nouveau pacte social s’impose

Dans tous les cas de figure, le rapport à l’emploi et à la retraite est bouleversé. Ceci remet en cause le pacte social et donc le mécanisme monétaire que nous avons hérité de l’ère industrielle.

La robotisation, désormais facteur de compétitivité majeur, sort les Hommes des usines et des bureaux.

Or, selon le choix que semblent vouloir faire les Européens, les Hommes doivent consacrer de plus en plus de temps à développer un vivre ensemble de haute qualité, d’une part pour préserver l’environnement social, démocratique, spirituel et écologique et d’autre part parce que, dans ce monde numérisé, les entreprises a besoin de collaborateurs au plus haut de leurs potentiels en tant que créatifs, experts ou managers, et de se renouveler en permanence, ce qui se prépare précisément dans un vivre ensemble de haute qualité.

Or, pour développer un vivre ensemble de haute qualité, tous les profils sont les bienvenus car la diversité favorise le potentiel d’évolution de la communauté.

Nouvelles priorités, nouvelle monnaie

Ceci conduit à repenser le pacte social mais aussi le mécanisme monétaire, ce qui tombe plutôt bien puisque les MNBC ouvrent des possibilités nouvelles, comme par exemple les monnaies fléchées (voir l’essai « Quelle(s) monnaie(s) pour quel modèle de société  »).

En effet, la monnaie dont nous avons besoin doit permettre de protéger le patrimoine humain et la création de valeur qu’il produit pour assurer sa prospérité basée sur l’intelligence collective.

Les citoyens européens perçoivent cette nécessité. Leur priorité doit donc commencer par repenser le modèle de société. Ils pourront ensuite concevoir les institutions qui vont être capables de favoriser le nouveau modèle de prospérité.

Le mécanisme monétaire en est un pilier central.

Maîtriser les monnaies fléchées devient donc une garantie de souveraineté puisqu’elles permettent de distinguer les deux formes de création de valeur :

  • Celles échangeables sur les marchés locaux et internationaux,
  • Celles réalisées par les citoyens pour développer la qualité de leur vivre ensemble.

Cependant, pour qu’un nouveau modèle s’installe, il est nécessaire de le construire en cohérence avec les strates de pouvoir précédentes.

Pour cela, il faut décider de ce qu’il faut garder, retrouver ou rejeter des modèles précédents.

Brève histoire du pouvoir

Le pouvoir se construit avec des progrès résultant d’innovations et d’abus.

En cette période de transition, nous voyons les couches les plus anciennes revenir en élément de cohésion.

  • Au commencement, la vie des tribus s’est organisée autour du spirituel dont le garant était un religieux. Sa raison d’être était de souder les membres à travers une éthique partagée et des rites fédérateurs. Car, une tribu soudée pouvait affronter les dangers de la nature et donner de la joie dans la vie de chacun. Or, c’est dans la joie que l’Homme acquiert de la confiance et ose des progrès.
  • Avec la sédentarisation, la défense des terres devient un impératif. Très progressivement le pouvoir politique supplante le pouvoir des religieux.
  • Avec l’ère industrielle, la finance prend la main sur le politique. C’est l’époque que nous terminons parce qu’elle a touché ses limites : reposant sur la notion de « toujours plus », les citoyens européens se mettent à préférer le « mieux avec moins ».
  • À présent, le numérique prend le dessus car il apporte des réponses intéressantes à cette nouvelle exigence. Mais la mise au point de ce nouveau pouvoir ne va pas de soi, puisqu’il constitue par ailleurs une arme en matière d’hégémonie.

Les USA l’ont compris depuis la dernière guerre mondiale. C’est dans ce but qu’ils ont patiemment construit les GAFAM à grands coups de privilèges. Ce consortium, qui ne dit pas son nom, a généré des puissances financières dont le chiffre d’affaires dépasse le PIB d’un certain nombre de pays européens.

Ils ont un pouvoir de nuisance plus important que la bombe atomique, qui n’est qu’une arme de dissuasion et qui détruit tout sur son passage. Ils peuvent bloquer ce qu’ils veulent où ils veulent et quand bon leur semble et la remise en route est simple et peu coûteuse !

Nous le savons concrètement depuis 40 ans : la France a dû renoncer au développement du minitel et céder aux USA ses archives et une partie de ses ingénieurs. En effet, le minitel était connecté essentiellement à des ordinateurs américains, qui n’ont pas hésité à faire des démonstrations de force pour débouter les Français hors des projets d’industrie du numérique…

Par ailleurs, les monnaies numériques traitent des transactions à des coûts que le système bancaire classique ne sait pas réaliser. En mettant la main sur le système monétaire, les géants du numérique pensent sincèrement planter leur drapeau sur le sommet de l’Humanité.

Le pouvoir total : pour en faire quoi ?

Les dictateurs finissent mal en général.

Portés au pouvoir avec une besace pleine de promesses, ils n’en font rien, une fois installé sur le trône. Mais, le ferment de la colère de leurs électeurs et de leurs partenaires rend leur vie impossible… Ils capitulent honteusement ou bien ils sont cruellement virés.

L’Empire du milieu chinois montre combien il est prudent de limiter ses relations avec une communauté dès lors qu’elle tente de capter les richesses de la planète à son profit.

Les USA de Trump ont la velléité de capter les talents et le profit… Via le numérique !

C’est leur projet, pour faire face à la mutation en cours.

En effet, leurs ressources carbonées s’épuisent. Leur industrie est rouillée. Leur gouvernance élitiste ne produit pas assez de talents. L’état de santé de la population est inquiétant. Les infrastructures sont vieillissantes. Les productions artistiques sont troublantes. Leur image à l’international est dégradée en raison de l’outrecuidance des dirigeants…

Comme tous les autres blocs géopolitiques, en cette période intercivilisationnelle, les USA ont des fragilités.

Le plan Trump & Co doit faire rêver pour réussir.

On peut rêver à New York autour de la tour Trump où Bernard Arnaud a essaimé ses splendides boutiques, inaccessibles à l’américain moyen.

Mais, quoi d’autre pour rêver ?

Le plan Mars de Monsieur Musk semble lointain et la tentative d’interdire à la FED de créer sa MNBC est sans doute sans lendemain, d’autant que toutes les autres banques centrales du monde sont hors de portée en matière de décret signé de Monsieur Trump.

Le pouvoir sur l’Europe appartient aux Européens

Nous savons à quoi commence à ressembler le modèle de société que nous voulons.

Mais, pour le développer, nous devons nous libérer de l’emprise numérique dans laquelle nos aînés nous ont engagés en vertu d’accords secrets liés au plan Marshall et à l’accès au pétrole.

Ces obstacles s’effacent. Alors, préparons notre avenir afin de reprendre le cours normal de notre évolution, qui est basé sur notre diversité et notre très longue expérience en matière de vivre ensemble en Europe.

Cette fois-ci nous sommes résolus à cesser de guerroyer entre nous. Nous voulons cultiver une saine émulation et parfois une puissante coopération.

Reste à nous organiser pour faire émerger les modes de gouvernance qui conviennent et leurs outils, dont la monnaie.

Quand la nécessité fait loi en Europe…

Si les citoyens Européens commencent à comprendre leurs urgences, leurs institutions semblent désemparées. Or, elles ne vont pas évoluer par elles-mêmes.

Ce devrait être à nos représentants démocratiques de faire le job, mais ils n’ont plus la confiance de leurs concitoyens. D’ailleurs ils ne songent qu’à conserver leur fauteuil pour assurer la pérennité de leurs croyances, pourtant déchues.

Ce n’est pas la première fois que nos gouvernants sont confrontés à des carrefours décisifs. Pour en sortir, ils ont eu recours à des institutions exceptionnelles, mais temporaires.

Par le passé, il y a eu, par exemple, les États Généraux et les Constituantes.

En son temps, le général de Gaulle a confié le redressement du pays au CNR (conseil national de la résistance) avec pour mission de faire disparaître les tickets de rationnement qui étaient le signe le plus visible de la sortie de guerre.

En parallèle, un groupe de travail, mené par Jacques Chaban Delmas, a conçu un plan stratégique à long et moyen terme pour redonner à la France sa grandeur brisée…

L’approche du général de Gaulle est inspirante. Mais, nous n’avons pas une France à reconstruire, nous avons :

  • Une guerre hybride à gagner. Les professionnels du numérique sur notre sol et ailleurs sont prêts à se mobiliser pour que nous conquérions la souveraineté numérique que nous n’aurions jamais dû laisser nous échapper,
  • Un nouveau modèle de société à formaliser puis à déployer. De nombreux créatifs culturels aux sensibilités variées ont des choses à dire. Reste à les amener à échanger et structurer des propositions, puis à les faire collaborer avec des profils pluridisciplinaires plus opérationnels.

Pour le reste, il faut insuffler de la pensée positive chez tous nos concitoyens. 

Le désir de mobilisation est là. Monsieur le Président, à vous de créer le cadre.

Première urgence : la souveraineté numérique de l’Europe.