Plus de numérique impose plus de démocratie. La démocratie embryonnaire que nous connaissons actuellement ne tient pas le choc … mais elle peut s’adapter si nous le voulons. Or s’adapter, c’est prendre des risques. L’Europe n’a pas le choix et en même temps, elle est en pole position pour réussir.

Fin de la démocratie de nos aînés

Le numérique décuple notre potentiel en matière de traitement de l’information. Il peut être utilisé à des fins guerrières et toxiques ou au contraire bénéfiques.

Ce n’est pas le numérique qui change nos vies, c’est parce que nous évoluons que nous développons le numérique.

La démocratie a pour vocation de faire en sorte que le peuple décide pour lui-même ses grandes orientations politiques. La Révolution française a amorcé le remplacement de la royauté par la république et notre république a adopté la démocratie comme mode de gouvernance.

Cette démocratie est dite « représentative », c’est-à-dire que les électeurs choisissent à la majorité un candidat pour les représenter (pour ce qui est des députés et les présidents de la république). Les électeurs sont censés être d’accord avec ces élus durant toute la durée du mandat de ceux-ci.

Avec la complexification de nos façons de vivre, ce modèle de démocratie ne fonctionne plus.

La notion de droite (priorité aux entrepreneurs qui font tourner l’économie) et de gauche (priorité aux citoyens qui font également tourner l’économie) ne représente plus rien.

Le débat n’est plus « droite contre gauche », mais « Fin du monde » ET « Fin du mois ».

D’où vient ce changement ?

Le déploiement du numérique est une composante majeure de ce basculement civilisationnel que nous vivons : l’Homme – européen et plus largement occidental et finalement habitant dans les pays dits « développés », après avoir usé et abusé de sa force décuplée par les machines et la chimie, prend conscience qu’il fait partie intégrante du vivant et qu’il doit en prendre soin, notamment en rationalisant sa manière de produire et de consommer.

Le numérique lui permet de le faire et tout le monde dit « ouf ! », sans pour autant comprendre comment gérer cette « transition » complexe.

Cette rationalisation rend obsolète notre pacte social, celui qui a permis, avec succès, de faire émerger l’ère industrielle.

Selon ce pacte, les entrepreneurs peuvent s’enrichir autant qu’ils le peuvent. En contrepartie, ils doivent fournir de l’emploi au plus grand nombre.

La rationalisation a pour effet de détruire de l’emploi. Les entreprises n’ont plus besoin de main-d’œuvre en grande quantité, mais du cerveau d’œuvre de haute qualité. Elles ont besoin de managers, d’experts et de créatifs au plus haut niveau de leurs capacités. Dans une économie rapide et réactive, ces collaborateurs ont besoin de se ressourcer régulièrement. 

Contrairement au siècle dernier ou chacun recherchait la stabilité de l’emploi, à présent, tant les entreprises que les « travailleurs » souhaitent de la mobilité pour se renouveler sans cesse. Pour y faire face, tous réclament un vivre ensemble de haute qualité.

Les stabilisateurs du monde du travail, âprement mis au point au siècle dernier s’en trouvent bouleversés. C’est par exemple le cas des syndicats, de la retraite, du chômage ou encore de la formation.

La logique monétaire ne permet pas d’adapter le pacte social à cette nouvelle donne. En effet, le développement du vivre ensemble, dont chaque agent économique (individuel ou collectif) a pourtant de plus en plus besoin, est considéré comme des dépenses. Or, la rationalisation fait baisser les volumes et les prix. Alors, les profits baissent ainsi que les taxes et les impôts, ce qui conduit à réduire les dépenses publiques (moins d’écoles, de tribunaux, d’hôpitaux ou encore d’infrastructures…). L’effet est amorti en faisant monter la dette globale du pays. 

C’est ainsi que l’Europe, berceau de l’ère industrielle, suivie par l’occident et à présent rejointe par les économies développées, se trouve dans une spirale infernale financière qui déstabilise les démocraties en occident et renforce les dictatures ailleurs.

En effet, pour contenir une classe moyenne qui s’effondre, il faut soit acheter de la paix sociale, soit contenir ses opposants.

L’endettement, notamment, est utilisé par la haute finance comme moyen de pression sur les détenteurs du pouvoir démocratique, bien que chacun dépende de l’autre comme le savent fort bien tous ceux qui ont joué au moins une fois au Monopoly.  Ainsi, chacun dépendant des autres blocs géopolitiques, les crises demeurent localisées mais vivaces, même si les technologies les rendent hautement condamnables.

La désespérance qui en découle fait le lit stérile des extrêmes qui tentent de prendre le pouvoir sans pour autant avoir des visions libératrices quant à la spirale financière, sociale, migratoire et écologique à proposer. 

Or, pour mobiliser les énergies, il faut des perspectives crédibles à proposer.

Avenir et perspectives

En futurologie, nous avons comme postulat que « la vie est plus forte que la mort ». La vie, ce sont nos générations montantes qui la portent.

Mais pour fonctionner, elles ont besoin de perspectives. Ce sont leurs aînés qui les leur préparent.

L’ère industrielle constitue le dernier chapitre de la sédentarisation dans la mesure où nous pouvons considérer qu’elle est parvenue à développer une organisation qui permet de satisfaire les besoins primaires du plus grand nombre (au sens de la pyramide de Maslow).

Certes, nous avons encore plein de progrès à réaliser, mais à présent, les générations montantes entendent s’atteler à satisfaire un autre besoin : la qualité du vivre ensemble.

Mais, cela ne se fera pas avec les institutions et les outils de gouvernance qui ont permis de faire éclore l’ère industrielle.

Opportunément, la monnaie devient numérique. Les crypto monnaies ne vont pas devenir des monnaies institutionnelles car la monnaie est une affaire de confiance dans les institutions. Elles vont demeurer des crypto-actifs. 

Mais elles nous ont permis de maîtriser des technologies qui vont nous être précieuses pour développer l’économie duale dont nous avons besoin désormais : celle de l’économie productive (besoins primaires) et celle de l’économie contributive (qualité du vivre ensemble).

La classe politique et la haute finance ont mangé leur pain blanc et doivent accompagner de manière responsable la mutation en cours car nous n’allons pas revenir en arrière. Nous devons donc organiser le passage d’une civilisation où l’Homme prétend dominer la nature vers une civilisation où l’Homme accompagne l’évolution du vivant au mieux de ses intérêts, qui sont eux-mêmes indissociables des exigences de Gaïa.

Le végétal fonctionne en mode rhizome avec une gouvernance locale qui s’agrège de proche en proche pour aller du local au global. Internet nous permet de le faire et les cryptos nous permettent de développer une économie duale. L’Europe est concernée au premier chef et elle doit saisir cette opportunité pour conquérir réellement sa souveraineté numérique. 

En tant que berceau du per to per et avec son vivier enviable dans les technologies des monnaies numériques, elle a de précieux atouts en main.

Sa priorité : construire les outils de gouvernance adaptés à un 21ème siècle hautement numérisé afin de redorer son attractivité. Ce sera la meilleure arme contre les attaques des BRICS, la déprime de notre jeunesse et le gâchis de l’expérience de nos aînés.

Aller plus loin : « Quelle(s) monnaie(s) pour quel modèle de société  ».