Geneviève BOUCHÉ – Vice présidente Forum ATENA – décembre 2022
Rémi Forte signe une belle saga en 6 épisodes, visible sur arte.tv, qui est dédiée au supposé créateur du bitcoin. Il ne révèle rien sur le mystère qui entoure Satoshi, mais il expose les dangers liés aux monnaies traçables qui peuvent devenir plus intrusives encore que ne le sont les GAFAM.
Les GAFAM ont été financées par la magie des dollars produits de par le fait que cette devise a été et est encore largement celle utilisée dans le commerce international. Mais ils nous racontent leurs histoires à travers des d’histoires conçues pour faire rêver, avec des héros qui ne laissent pas indifférents.
Le narratif autour du Bitcoin intrigue : pourquoi un narratif aussi obscur pour un sujet aussi stratégique ? La monnaie est l’instrument qui permet aux Hommes de faire des échanges. Un être vivant qui ne fait plus d’échange est un être mort ou en train de mourir.
Le développement de ce que nous appelons aujourd’hui le « numérique » remonte à la dernière guerre mondiale. Sans IBM, point de Shoa ni de débarquement. C’est avec la machine Enigma, que la chose militaire a commencé à devenir « hybride ».
A la fin de la guerre, les belligérants ont compris que les « machines de traitement de l’information » ouvraient de nouvelles perspectives en matière de conquête du monde. Il y avait matière à en faire une arme puissante et pourtant non létale.
Les américains l’avaient bien compris, le général de Gaulle aussi. Le général voulait en faire un vecteur de puissance économique : « rendre la France efficace ». Les américains ont voulu en faire une arme d’influence massive afin de « contrôler la foule ».
A la fin des années 70, la France a créé le minitel pour permettre aux citoyens de développer des relations efficaces avec leurs institutions ainsi qu’avec les agents économiques et associatifs.
Qui dit « échange » dit « paiement ». C’est dans ce cadre-là que la carte à puce a été propulsée. Comme pour le minitel, les travaux ont été conduits en plusieurs volets : technologie, usages, financement.
Ce projet nous a brusquement plongé dans un questionnement vertigineux : que devient la notion de monnaie quand elle devient entièrement numérique. Des études ont été menées sur l’acceptabilité et les effets secondaires. Mais les banques ne se sont pas impliquées. A l’époque, les DSI (directeurs informatiques) étaient trop liés à IBM. Les vastes perspectives sont restées sur les étagères et les débuts d’expérimentations ont glissé discrètement dans la poubelle.
Néanmoins, le monde de la recherche a poursuivi ses échanges internationaux.
Le germe de ce qu’est aujourd’hui la crypto-monnaie a pris racine sur la blockchain, combiné aux travaux sur les bases de données.
Pendant ce temps-là, la haute finance a commencé à affronter ses crises à répétition et ouvert ses interminables débats sur la gouvernance des banques. L’idée a consisté à séparer les activités de banque de dépôt de la finance … et même de faire disparaître les banques de dépôt, ce qui va être à l’origine de la monté en puissance des « blackrock », dont le plus puissant est le gestionnaire de fond éponyme.
La crise de 2008 a été l’occasion de mettre à l’eau le « POC » (Proof Of Concept) d’une monnaie sans banque : le Bitcoin. Le Bitcoin est aux monnaies numériques ce que le minitel a été à l’Internet. Un POC livré au grand public afin de cerner les forces, les faiblesses, l’acceptabilité et les déviances.
A l’heure actuelle, le système monétaire est de plus en plus fragile. Lui préparer une alternative devient une nécessité. L’Europe doit se prendre en charge car la guerre des monnaies a commencé.
Elle pourrait partir sur les monnaies fléchées qui ne s’intéressent pas seulement au problème de la fiabilité de la monnaie, mais au respect des mécanismes de redistribution qui actuellement rendent notre système fiscal et social d’une complexité surhumains. Elle commence à se familiariser avec les monnaies fléchées.
Les bitcoins, c’est-à-dire le Bitcoin et ses enfants, s’avèrent ne pas répondre correctement à la promesse de gouvernance décentralisée. Or, l’Europe, berceau d’Apach et de Skype, n’a pas pu prendre part au développement des GAFAM, si ce n’est en fournissant des talents et des briques à travers son industrie des startups numériques (startup nation). Elle a été dépossédée de ses fleurons, mais cela ne l’a pas empêché de consolider sa maîtrise de l’informatique distribuée et des développements en mode coopératif (Open Source).
Elle n’a aucun problème pour se diriger vers un numérique de seconde génération basé sur son modèle de gouvernance, c’est-à-dire décentralisé et coopératif. Elle peut le faire pour ses E-Etats et ses monnaies. Cela suppose que les travaux à ce sujet, encore trop souterrains, soient amplifiés et soutenus.
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