Conférence Forum ATENA
Mercredi 14 Mai 2014 à partir de 18h
Télécom Paris Tech, 46 Rue Barrault (Paris 13ème)
Internet au cœur de tous les fantasmes d’une société hyper contrôlée ou hyper libre, de promesses dignes des romans de science-fiction aux menaces d’une société totalitaire comme l’histoire n’en a jamais connue. Depuis l’explosion de l’affaire Wikileaks à l’affaire Prism révélée par Edouard Snowden, en passant par les déclarations d’E.Schmidt (CEO Google) sur la disparition de la vie privée, l’histoire semble s’accélérer. Plus proche de nous les écoutes (administratives ou judiciaires) de journalistes, d’opposants politiques, les atermoiements des commissions administratives indépendantes (CNIL, ARCEP, CSA) et le relatif activisme des pouvoirs publics à vouloir tout contrôler (poursuites de Skype par le parquet général en mars 2014) montrent à quel point il est urgent de se pencher sur les questions juridiques voire philosophiques qui sous-tendent ces évolutions majeures.
En France en ce début d’année 2014, l’affaire « Dieudonné » a relancé le débat du contrôle de l’internet autour de la maitrise de la diffusion des contenus. Le ministre de l’intérieur s’est d’ailleurs adressé directement aux hébergeurs 2.0 pour tenter de limiter voire d’interdire les vidéos de l’humoriste. Ces appels ont largement inquiété les défenseurs des libertés publiques et individuelles.
Le 14 Mai 2014 à 18H s'est tenu un colloque réunissant professionnels du droit, ingénieurs, dirigeants de sociétés, entrepreneurs du web qui sont venus débattre de ces questions.
Qu’est-ce qu’un hébergeur ? Qu’est-ce que l’hébergement « cloud » ? Existe-t-il un hébergement « mondial » ou « global » ? Les régimes juridiques différents peuvent-ils jouer un rôle dans l’exercice d’un métier dont le champ d’action est devenu planétaire ? Quels sont les enjeux de demain pour une profession dont les leaders mondiaux se nomment Amazon ou VMWare ? Doit-on craindre pour les libertés publiques et individuelles ?
Ont participé : Maître Olivier Itéanu, avocat ; Monsieur Dominique Morvan, ancien Directeur Général d’Internet FR ; Monsieur Pierre Col (ex directeur marketing Jet Multimédia et chroniqueur chez ZDNet ; Monsieur Benjamin Bayart fondateur de FDN. Le débat était animé et modéré par Jean-Claude Patin, fondateur de Juritel.
Compte-rendu de l'événement
Hébergement, droit, libertés publiques, où en est-on ?
Le débat s'est engagé entre quatre participants, vieux routiers de l'internet, autour du thème de l'hébergeur et de sa définition pratique.
– Benjamin Bayart, dirigeant de l'association FDN depuis 1991, explique qu'en réalité la notion d'hébergeur est issue d'une volonté d'identifier un responsable éditorial sur lequel les requérants pourront agir pour attenter aux contenus sur les réseaux. Selon Benjamin Bayart, il serait plus pertinent de parler d'intermédiaires techniques lesquels seraient entre les auteurs de contenus et leurs lecteurs ou spectateurs. Chaque intervenant technique est protéiforme et exerce simultanément plusieurs métiers afin d'accomplir sa ou ses missions sur le réseau. Un moteur de recherche peut ainsi devenir hébergeur d'image et de contenus lorsqu'il affiche des contenus (images, vidéo, textes) puis afficheur de contenus (annonces publicitaires). L'hébergeur n'est pas un acteur identifiable et n'est pas cité comme tel dans la loi française. C'est une fonction qui ne peut pas faire l'objet d'une réglementation.
– Dominique Morvan, ex-dirigeant d'Internet Fr de 2004 à 2010 explique que l'hébergeur c'est celui qui opère un data center dans lequel sont accueillis et maintenus des serveurs délivrant les contenus figurant sur leurs disques. Ce métier impose rigueur et réactivité en ce qu'il se situe techniquement au croisement des éditeurs de contenus, des fournisseurs d'accès et des internautes. Le législateur ne connait pas ce métier qui est exercé par des spécialistes. Pourtant la police spécialisée connait très bien les hébergeurs vers lesquelles elle se tourne très vite pour connaitre les données hébergées sur les machines, quand elle en a besoin. De là, on peut imaginer la possibilité ou la tentation de pouvoir éventuellement les contrôler voire les censurer. L'hébergeur, c'est celui sur lequel tous les plaignants vont "taper" afin qu'il censure les contenus ou qu'il résiste à la censure des contenus. Le métier existe en tant que tel et il serait utile de le définir juridiquement.
– Pierre Col, ex directeur marketing de Jet Multimédia et actuel directeur marketing d'Antidot, éditeur de logiciels spécialisé dans les moteurs de recherche, s'interroge sur le manque de précision des critères permettant de dire d'un intermédiaire technique qu'il est un hébergeur. Il s'étonne de cette lacune béante dans la loi du 21 juin 2004 (Lcen) et s'interroge sur les conséquences de cette absence sur la responsabilité des grands sites de diffusion vidéo ou de ventes aux enchères, ainsi que des réseaux sociaux. Pour lui, ce flou artistique pose des questions notamment en terme de diffusion de contenus et en termes de droit d'auteur : où finit l'hébergeur, où commence l'éditeur ? Certains acteurs techniques du net profitent de la création d'autrui de manière abusive. Il est important de mieux définir les intermédiaires et peut-être de rechercher qui fait quoi.
– Olivier Iteanu, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, rappelle tout d'abord qu'une définition en creux de l'hébergeur a été fixée par la Cour de Justice de l'Union Européenne: c'est l'acteur technique qui se contente d'accomplir sa mission sans intervenir sur le contenu qui lui a été confié. Cette notion matérielle s'oppose à la notion morale développée par Benjamin Bayart lequel considère qu'un intermédiaire technique doit accomplir sa mission, y compris en intervenant sur le contenu. Pour Olivier Iteanu, il est fondamental de proposer des points de chute procéduraux permettant de régler les conflits de droit pouvant surgir à l'initiative des ayants-droits, de victimes de diffamation, d'atteintes à l'image, … La liberté étant la règle et la censure l'exception, il est important de pouvoir atteindre précisément les responsables éventuels. A ce titre, Olivier Iteanu pointe la relative incompréhension existant entre les milieux juridiques et techniques. Il plaide pour une meilleure concertation des acteurs du net.